5 novembre 2011
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Nouvel article dans Le Point du 03.11.2011, Michel Onfray évoque le temps de Proudhon. "Contre ceux qui considèrent que le libéralisme est un horizon indépassable, le philosophe hisse, à l'occasion de la parution du "Dictionnaire Proudhon" (Aden), le drapeau noir de l'anarchie."
Nous vous proposons un extrait de cet article :
« Chacun sait que l'imprégnation chrétienne a laissé des traces et que plus de mille ans de christianisme au pouvoir formatent les consciences de sorte que, non croyants, agnostiques, athées, mais aussi anti-chrétiens, libres-penseurs, militants rationalistes restent tributaires de schémas de pensée hérités de cette religion. Il en va de même avec deux siècles de marxismes qui ont enfumé la pensée et imprègnent souvent les analyses politiques contemporaines. [...]
La parution d'un "Dictionnaire Proudhon" arrive fort opportunément pour montrer qu'il existe une gauche libertaire n'ayant rien à voir avec la gauche autoritaire des marxistes nourrie de nostalgie bolchevique ou la gauche tocquevillienne qui peint la façade de son libéralisme en rose bonbon. [...]
Le premier mérite de cet ouvrage consiste à montrer que l'anarchisme est autre chose que ce que la vulgate affirme habituellement. [...]
Or il existe un courant méconnu de la pensée anarchiste française qui a proposé ce que Proudhon lui-même nomme une "anarchie positive" : construire ici et maintenant une révolution qui n'a pas besoin de tuer, massacrer, piller, pour se réaliser. Cette anarchie-là n'a rien à voir avec la gauche de ressentiment qui est pour tout ce qui est contre et contre pour tout ce qui est pour. Les tenants de cette gauche si bien analysée par Nietzsche en son temps veulent avant tout détruire. Et après ? Après triomphe un schéma religieux : bonté, bonheur, prospérité, etc. Disparition de l'exploitation, des guerres, de la phallocratie, de la misère... ce schéma reste hégélien, idéaliste, religieux - et pour tout dire : chrétien. [...]
Le proudhonisme est un pragmatisme, autrement dit, le contraire d'un idéalisme. D'où ses propositions concrètes et détaillées : la fédération, la mutualisation, la coopération comme autant de leviers pour réaliser la révolution ici et maintenant, sans qu'une seule goutte de sang soit versées [...]
Certes il existe une face noire à Proudhon : sa misogynie que Daniel Guérin, dans un ancien "Proudhon oui et non", mettait en relation avec une homosexualité brutalement refoulée ; la phallocratie qui l'accompagne et qui inscrit le philosophe bisontin dans l'ancestrale tradition pitoyable des penseurs qui passent à côté de la moitié de l'humanité - de Platon à Freud, en passant par Rousseau, Kant, Schopenhauer et Nietzsche ; d'indéfendables propos antisémites consignés dans ses "Carnets" - l'excellent Robert Misrahi analyse cette question dans son "Marx et la question juive" et rappelle les modalités de l'antisémitisme de Marx ; sa défense de la guerre comme hygiène de la force - une constellation de fautes qui conduisit quelques vichystes à embrigader Proudhon parmi leurs références intellectuelles...
Ce droit d'inventaire effectué, il est terrible, mais nécessaire, reste un philosophe ayant pensé un socialisme libertaire que Marx et les siens ont critiqué, moqué, ridiculisé (songeons à "Misère de la philosophie" d'un Marx qui répond à la "Philosophie de la misère" de Proudhon et met les rieurs de son côté, mais au détriment des idées du philosophe français recouvertes par le sacasme marxiste).
A l'heure de l'effrondement du système macropolitique mondial, cette philosophie micropolitique anarchiste concrète ouvre de grandes perspectives. [...]»
Michel Onfray
"Le peuple n'a jamais fait autre chose que prier et payer : nous croyons que le moment est venu de le faire philosopher "
Proudhon, De la justice dans la Révolution et dans l'Eglise
Constance