Nous vous présentons le film Le plaisir d’exister réalisé par Olivier L. Brunet en 2005-2007, consacré à Michel Onfray et son Université populaire de Caen. (durée : 52 min)
Voici quelques réflexions du réalisateur concernant les préparations, le tournage et le montage du film que vous pouvez trouver en intégralité sur
"2004. Je tombe un jour sur un article qui parle de Michel Onfray (dont je ne sais rien à l’époque) comme d’un pourfendeur du christianisme. Je trouve une adresse mail sur internet et je lui propose de venir débattre à l’issue d’une projection (du film La tentation de croire) La seule réponse que je reçois est la sienne. Certes elle est négative, mais je suis touché qu’il ait au moins pris la peine de décliner. Ça me donne envie d’aller plus loin.
Je découvre le site de l’Université Populaire de Caen, dont la troisième année vient de commencer. Intrigué, je prends la route, et j’assiste à l’une des conférences d’Onfray dans l’Amphi Tocqueville de la fac de Caen, bourré à craquer. Une heure de cours magistral, suivi d’une heure de questions/réponses avec le public. Le philosophe est impressionnant, passionnant, provocateur, charmeur, drôle… Je risque une question naïve sur le christianisme (Onfray n’a pas encore publié son « Traité d’athéologie »), il me répond avec humour, déployant son immense érudition sans pour autant me laisser penser que je suis un imbécile. Bref, un vrai pédagogue. Je tombe sous le charme, j’imagine presque aussitôt faire un film, et j’ignore que je suis en train d’en prendre pour deux ans.
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2005. J’ai rendez-vous avec Onfray et son assistante Dorothée Schwartz au Café Mancel, dans l’enceinte du château de Caen. Il est d’accord pour le film, parait même enthousiaste. J’assiste à ses brillantes conférences à la Bibliothèque François Mitterand (qui formeront l’essentiel de La puissance d’exister, parut fin 2006).
Le tournage sur l’Ile de Beauté est finalement annulé in extremis. « Trahisons corses », me confie Onfray. Je commence donc par une conférence sur l’hédonisme au casino de Trouville, puis je m’installe à Caen pour les trois premiers mois de l’Université Populaire. Des liens se tissent. Je suis surpris par l’extrême simplicité d’Onfray, sa générosité, la facilité avec laquelle il m’accorde d’entrer dans son intimité. Nous nous trouvons des points communs – l’expérience du pensionnat sous l’égide de curés salésiens n’est pas le moindre. Je passe quelques soirées avec lui chez Marie-Pierre Vadelorge et Catherine Dehée, ses amis caennais. Á Argentan, je fais la connaissance de Marie-Claude, sa compagne de longue date, aux antipodes de tous les clichés people. « Ces deux-là ne risquent pas de se trouver jamais en couverture de Voici« , me dis-je.
J’ai le sentiment d’avoir fait une rencontre cruciale. J’attrape au vol quelques concepts simples : « délinquant relationnel », « contrat hédoniste », « passions tristes », « ataraxie »… Je m’applique cette philosophie où il n’y a que du corps et pas d’arrière-monde pseudo-consolant, j’ai le sentiment exaltant de vivre une mue intellectuelle et existentielle. A la fin de l’année, Michel me dit qu’il a changé le titre de son futur livre consacré aux conférences de la Grande Bibliothèque, qui devait s’appeler « Le plaisir d’exister », mais sur lequel il me laisse la priorité pour adopter La puissance d’exister, plus Nietzschéen…
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2006. Equipé d’un lourd steadycam de première génération, nous emmenons Onfray à Giel, dans « l’orphelinat » de prêtres salésiens où ses parents l’avait inscrit à l’entrée en sixième, et dont il décrit l’enfer dans l’avant-propos de La puissance d’exister. Nous y croisons l’un de ses anciens professeurs, au milieu d’une nuée de collégien(ne)s électrisé(e)s par la présence d’une caméra.
Je commence le montage, seul, en avril ; j’ai beaucoup trop de rushes, et pas beaucoup de matière exploitable. J’ai trop filmé, je n’ai pas assez réfléchi. Narcissiquement flatté par l’honneur d’avoir pu intégrer le premier cercle des amis de Michel, ébloui par ma rencontre avec la philosophie hédoniste dont je ne connaissais rien, j’ai privilégié l’expérience existentielle, et j’ai trop négligé le cinéma.
Mi-juin, nouveau voyage à Lyon où Michel est invité pour le premier Printemps des Universités Populaires. Il fait une chaleur insoutenable, il arrive de mauvaise humeur, s’engueule en public sur un détail de la Révolution Française avec l’une des intervenantes, Sophie Béroud, et repart en laissant derrière lui une réputation de diva ombrageuse. Je prends sa défense devant Françoise Bressat qui me soupçonne d’être devenu une groupie inconditionnelle.
En septembre, j’obtiens que Martin revienne m’aider pour tourner trois nouvelles heures d’entretiens avec Michel dans sa maison de Chambois, afin d’enrichir le « deuxième film ». Discussions riches, passionnantes. Mais au résultat rien ne marche, c’est de la radio. Les rushes sont décevants, les caméras étaient mal placées, la lumière est terne. Martin, d’habitude si précis, a trop écouté le « maître » pour se concentrer sur le cadre…
Un mois plus tard, alors que j’entame le montage épique du Passé Recompomposé , présentation du Plaisir d’exister à Michel, chez Marie-Pierre et Catherine à Caen. La première moitié le ravit. La seconde, beaucoup moins. Et puis, à ses yeux, j’ai commis une faute impardonnable : la plupart des intervenants bénévoles de l’Université Populaire de Caen n’apparaissent pas à l’image, en particulier le « Canal Historique », dont Gérard Pouloin et Séverine Auffret. Il me demande, glaçant, de changer le montage pour les réintégrer, au moins symboliquement ; me reproche de n’avoir rien compris à « l’intellectuel collectif » que représente l’UP, en me focalisant trop sur sa personne. Or le film est terminé, étalonné, mixé, les PAD (prêt-à-diffuser) sont édités (ce que Michel ignore)…
Dilemme. Dois-je obtempérer ? Sa réaction me fait toucher du doigt une limite, celle de ma liberté. Bien sûr, je peux passer outre, mais ce sera prendre parti contre lui. Ce sera au prix de notre amitié. Il ne défendra pas le film en l’état. Je crois pourtant qu’il retient son bras (mais j’en doute aujourd’hui, car ce n’est pas son genre), car il m’a associé à une nouvelle initiative à laquelle il tient beaucoup : l’Université Populaire du Goût, à Argentan (qui fournira la matière de Retrouver le goût , l’année suivante).
Je décide de ne pas obtempérer, et d’écrire à Michel une longue lettre lui expliquant les raisons de ce choix, remettant en perspective mon expérience de l’Université Populaire, les presque deux ans écoulés depuis ma découverte de son travail. Sa réponse, via un mail bourré de fautes de frappe et de syntaxe (écrit probablement à grande vitesse) et zébré de phrases en majuscules, réitère les critiques glaciales formulées lors du visionnage et y ajoute quelques procès d’intention qui me sidèrent, et m’attristent. C’est soit le changement de montage, soit la fin de notre relation amicale. Les mots d’un homme blessé, justifiant son intolérance au nom de principes supérieurs (l’amitié, la fidélité, la reconnaissance dont il se sent redevable envers ceux qui l’ont soutenu dans son entreprise à Caen, reconnaissance dont il me demande de devenir, de fait, l’un des instruments).
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2007. Je plie...Ceci, additionné au succès de mon entreprise de filmage du premier cours de l’Université Populaire du Goût à Argentan, me vaut un retour en grâce, aussi chaleureux que le début de rupture fut glacé. Nous sommes invité en famille à fêter le Nouvel An (et le 49ème anniversaire de Michel, né le 1er Janvier 1959) au restaurant La Renaissance à Argentan, dans le premier cercle des amis du maître.
Je ne peux pas faire un film personnel sur Michel. Je l’ai approché de trop près, mon regard est désormais altéré par mes préjugés. J’ai vu à quel point il est un être humain, certes doté d’une machine cérébrale phénoménale, d’un exceptionnel talent d’orateur, de conteur et de pédagogue, mais voué comme tout le monde aux ravages des passions tristes, et contraint de théoriser ses impuissances faute de parvenir à les apprivoiser. Faute même d’en avoir conscience, ou bien, ce qui revient au même, convaincu qu’elles n’en sont pas, ou qu’elles ne justifient aucun amendement.
Je crois que « Le plaisir d’exister » est le film le plus honnête que je pouvais faire. C’est la face lumineuse d’Onfray, qui n’est pas si souvent mise en avant, les médias préférant souvent le polémiste pamphlétaire. Cet homme m’a fait beaucoup de bien et je suis très heureux de l’avoir croisé. Amen."
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En bonus, cinq extraits de la première version du montage, avec les effets de style et la superbe musique de Pascal Dusapin.
Le plaisir d'exister • supp#1 from Olivier L. Brunet on Vimeo.
"Le côté obscur, tourmenté, de l'homme qui ne doute pas, tel qu'il s'afirme lui-même"
Le plaisir d'exister • supp#2 from Olivier L. Brunet on Vimeo.
"MichelOnfray retourne à « l’orphelinat » de Giel où il fut placé par ses parents à l’entrée en 6ème, il évoque le genre de sainteté qui l’intéresse "
Le plaisir d'exister • supp#3 from Olivier L. Brunet on Vimeo.
" Michel Onfray parle de son œuvre et de la trace qu’il espère laisser"
Le plaisir d'exister • supp#4 from Olivier L. Brunet on Vimeo.
Présentation de l’Université Populaire d’Arras, créée par Paule Orsoni
Le plaisir d'exister • supp#5 from Olivier L. Brunet on Vimeo.
Présentation de l’Université Populaire de Lyon, créée par Françoise Bressat avec le soutien de Philippe Corcuff
Ewa