Les visiteurs de notre banquet connaissent déjà le professeur de philosophie Serge Provost que nous avons sollicité sur le blog de Laurence Hansen-Love en publiant avec leur aimable autorisation « Pourquoi obéissons-nous? ».
Cette fois-ci, nous n’avons pas pu résister à la douce saveur de la patience outre-Atlantique. Nous aimerions la partager avec vous en espérant pouvoir vous présenter encore d’autres textes aux saveurs piquantes, sucrées salées, amères et... inattendues - grâce à la générosité, savoir, expérience et talents pédagogiques de professeur Provost. Alors, un peu de patience...
Éthique de la patience dans un monde pressé
«We want the world and want it now il now !»
Jim Morrison. The Doors.
«Jusqu'à quand les forces de l'argent abuseront-elles de notre patience ?»
Les citoyens du 44 avec Arnaud Montebourg.
Pauvre Jim, son impatiente impétuosité, si générationnelle, l’aura tué. Et que dire de celle, plus sanitaire, plus léchée d’Arnaud Montebourg, the surprise à 17%, l’autoproclamé «Jeune lion», «Monsieur antimondialisation en personne», qui dit, à lui seul, avoir subito presto «sorti le PS du formol» et que soutenait, quel hasard, Michel Onfray, le politique du rebelle ?
Osons une question simple : le sex-symbol des seventies et le fébrile impétrant virtuel ignoraient-ils, comme des milliards de nos contemporains hyper pressés, la vertu de patience ?
Tentative de définition
La patience serait la soeur cadette de la vertu de persévérance dont nous reparlerons, un autre jour. Elle permet de supporter dans le calme de l'esprit et du corps les désagréments et les malheurs de la vie. Elle accepte sereinement ce qui ne peut, dans l'immédiat, être changé. Les vibrionnants la confondent à tort avec la résignation et la passivité.
Qualité discrète et humble, parfois même héroïque (voir le film tire-larmes Hatchi de Lasse Hallström, 2010), on la dit souvent plus efficace que la force. « Patience et longueur de temps font plus que force et que rage », dit une dosette de moraline signée Jean de La Fontaine. Non seulement supporte-t-elle les résistances dans un esprit paisible, mieux: elle affermit, de surcroît, le caractère de qui la pratique.
Active à sa manière, elle obtient le résultat désiré et parvient à ses fins en «donnant du temps au temps», disait un célèbre président français, en faisant confiance à la durée. C’est bien connu : «La patience énerve les impatients.» Ces derniers ignorent son antidote : «Tout vient à point à qui sait attendre.»
Une vertu démodée ?
Plus facile à dire qu’à faire dans un monde où règne la logique acquisitive de la société consumériste — «Toujours plus et plus vite» — où ses quidams, ses serials buyers, ses fashionistas dégainent leur carte de crédit plus vite que leur ombre et leur capacité de rembourser. Incapables de prendre leur mal d’acheter en patience, ils faillissent moralement, puis font financièrement faillite. Ont-ils seulement entendu parler de «simplicité volontaire», cette forme de sobriété patiente face aux irrassasiables désirs de possession des «choses» (Georges Perec) ?
En quête frénétique de leur satisfaction personnelle et immédiate, envers et contre tous, l'égocentrique et l'impulsif l'ignorent ou ne peuvent, à l’évidence, la pratiquer. Phénomène prévisible, ceux qui en sont dépourvus deviennent irritables et irritants, en pure perte d'ailleurs, pour eux-mêmes d’abord, et pour les autres – ce qui est pire. Leur compulsion dangereuse les fait agir avec précipitation, leur fait manquer de prudence et, comble de l'absurde, ne modifie en rien le cours des choses, risquant même de l'aggraver. « Perdre patience », c'est se perdre. Patienter, c'est gagner en se dominant.
La patience, vertu démodée, voire obsolète ? Car trop «inactuelle», dirait Nietzsche ?
Serge Provost, professeur de philosophie