Du 28 juillet au 29 août 2014 (du lundi au vendredi, de 11h à 12h) France Culture diffuse les conférences de Michel Onfray données en 2013-2014 dans le cadre de l’UP de Caen :
Contre-histoire de la philosophie - 12e année,
« La pensée post-nazie : Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders »
17) « UNE TYRANNIE BIENVEILLANTE » - 19.08.2014
- Écoutez les conférences en direct sur le player ci-dessus (11h-12h)
- Les players de la réécoute seront successivement intégrés sur ce blog selon les conditions définies par France Culture qui les met en partage
- Vous pouvez également PODCASTER les conférences sur le site de l’émission, les archiver, prêter à vos amis, emprunter dans les médiathèques...
- Chers internautes, n’oublions pas que les conférences à l’Up de Caen sont constamment présentées comme GRATUITES ! Ne les achetons donc pas ! Ne remplissons pas les poches de Frémeaux & Associés ! Ne soyons pas des CON-SOMMATEURS !
1./ LA PEUR ET LE CONSERVATEUR
a) Avenir de l’homme et de la planète compromis.
b) Heuristique de la peur : • Contre l’euthanasie : - Prétention de la société à libérer un individu de sa souffrance = Société qui se libère et se soulage contre la personne malade. • Les drogues utilisées pour contrôler les comportements ? - Celui des écoliers dispensés ainsi de motivation individuelle. • Domination psychique - Par interventions sur les cerveaux avec électrodes ou chimie. • Pacification des êtres - Avec les mêmes méthodes. • Production artificielle du bonheur ou du plaisir • Optimisation des performances individuelles - Intérêt des patrons pour rentabiliser le travail des ouvriers.
c) D’où « la suprême obligation de la conservation » (58).
2./ LA RESPONSABILITE CONTRE L’ESPERANCE
a) S’affirme « post-marxiste » (176). Son rapport au marxisme : • Critique : - L’eschatologie - La religion du progrès - Le positivisme - Le messianisme. • Positif : - Vertus de la dictature - Seule capable de faire passer les mesures nécessaires. - Frugalité et austérité.
b) Aristotélicien ou kantien sur le terrain éthique • Machiavélien sur le terrain politique • Assume la référence au Prince.
3./ CRITIQUE DU MARXISME
a) Le principe responsabilité (1979) • Une réponse au Principe espérance (de 1954 à 1959) d’Ernst Bloch.
b) Bloch : marxiste hétérodoxe • Critique certaines thèses du bolchevisme • Mais à partir de Hegel et de Marx.
c) L’esprit de l’utopie écrit entre 1915 et 1917. • Remanié profondément en 1923. • Critique l’existentialisme, le nihilisme, le rationalisme capitaliste • Au nom d’un socialisme de type messianique.
d) Le principe espérance : • Un genre d’encyclopédie philosophique baroque • Volontairement décousue • Dionysiaque • Réactive l’utopie non comme impossibilité idéale définitive • Mais comme le « non encore advenu » architectonique • Principe actif et non théorétique • Fournit un modèle à l’action • L’espérance rend possible un monde meilleur.
e) Examine les utopies : • Médicales, architecturales, sociales, techniques, géographiques, la peinture, l’opéra, la littérature, la philosophie, la musique, les religions. • Marx : « la substance de l’espérance ».
f) Jonas est sévère avec Bloch : • Son adversaire privilégié, sinon son ennemi intime. • L’utopie : le risque majeur • Bloch : « l’utopiste par excellence » (238).
g) S’emporte contre Bloch qui méprise le réformisme • Et continue à laisser les gens mourir de faim • Alors que la révolution permettrait l’abondance pour tous.
h) Fustige sa défense de l’engrais • Pour solliciter la nature • Et produire massivement • Afin d’abolir la faim sur la planète.
i) Critique la fin de la séparation travail intellectuel / travail manuel.
j) Jonas ne cite pratiquement pas Bloch • Mais le critique partout • Notes en bas de page « Ainsi vaut loi jusqu’à aujourd’hui que le marxisme, progressiste dès l’origine, né sous le signe du principe espérance et non sous celui du principe crainte est en fait non moins inféodé à l’idéal baconien que son antagonisme capitaliste, dont il est ici le concurrent : le rattraper et pour finir le dépasser dans ses fruits, récoltés grâce à la technique, était partout la loi qui commandait la volonté de sa réalisation. Bref, le marxisme est, d’après son origine, l’héritier de la révolution baconienne et il se comprend lui-même comme son exécuteur testamentaire prédestiné, meilleur (c’est-à- dire plus efficace) que ne le fut le capitalisme » (197). • Bacon, Marx, Bloch, mêmes combats…
4./ CONTRE « L’UTOPISME »
a) Danger de l’utopie marxiste • La technique ne peut réaliser le bonheur des hommes sur terre • Avec une société d’abondance.
b) Utopisme : religion de l’espérance qui fait fi des hommes et de la nature. • L’URSS ne croit pas au marxisme ontologiquement rousseauiste • Changer la société ne change pas l’homme • La preuve la fin du capitalisme en URSS n’a pas aboli les vices • « L’Etat socialiste lui-même n’y croit pas non plus, comme le montre la solidité de son système policier et de son système d’indicateurs » (216). • Les vices ne sont pas des produits de la culture mais de la nature • L’homme nouveau n’a pas eu lieu – un demi-siècle plus tard.
c) Le coût de l’utopie ? • Les camps de rééducation • Le Goulag • Les famines organisées • Les exécutions sommaires • Les déportations • La militarisation de la société • La destruction de la vie privée • La généralisation du totalitarisme • La politique de la terreur • Le contrôle policier étendu à tous les secteurs de la vie • La pénurie alimentaire • La destruction de la nature.
d) Les lois de l’histoire présentées par Marx sont fausses • L’utopie tue les hommes et la planète.
5./ MARXISTE POUR LA FORME
a) Jonas n’est pas marxiste quand il considère les fins : • Eschatologie, • Messianisme, • Société sans classe, • Homme nouveau, • Fin de l’exploitation, • Réalisation du communisme.
b) Il l’est sur les moyens : • Gouvernement fort • Autorité • Discipline • Ordre • Frugalité.
c) N’est pas contre le marxisme • S’il s’affranchit de l’utopisme • Il veut bien du marxisme, « à condition de réinterpréter son rôle, de celui qui apporte le salut en celui qui empêche le malheur, donc en renonçant à son souffle vital, l’utopie. Ce serait-là un « marxisme » très différent, devenu presque méconnaissable, jusque dans le principe de son organisation externe. L’idéal qui l’animait serait perdu (nous ne savons pas si la douleur de la perte serait salutaire ou non). La société sans classes n’occuperait plus alors la place de l’accomplissement d’un rêve de l’humanité, mais très prosaïquement celle d’une condition de conservation de l’humanité dans une époque de crise imminente » (197).
d) Est-ce encore le marxisme ? • Jonas parle d’un « marxisme méconnaissable »…
e) Est-ce le « post-marxisme » ? • « Peut-être un terme qui paraît encore audacieux et que beaucoup n’aiment certainement pas entendre » (176). • Remplace la croyance dommageable à l’utopisme marxiste • Par une foi dans le caractère martial efficace de la doctrine.
6./ ELOGE DE L’URSS
a) La fin écologiste justifie les moyens qui contreviennent aux droits de l’homme
b) Critique les gouvernements représentatifs • Met en cause des principes et ses procédures ordinaires face au salut de la planète • Les acteurs de cette démocratie sont dans l’ici et maintenant • Ne se soucient que de leurs électeurs et de leurs réélections • Impossibilité de faire primer l’intérêt général des générations futures « L’avenir n’est représenté par aucun groupement, il n’est pas une force qu’on puisse jeter dans la balance. Ce qui n’existe pas n’a pas de lobby et ceux qui ne sont pas encore nés sont sans pouvoir : c’est pourquoi les comptes qu’on leur doit ne sont pas encore adossés à une réalité politique dans le processus actuel de décision et quand ils peuvent les réclamer nous, les responsables, nous ne sommes plus là » (44). • Une éthique est nécessaire pour le futur • Jonas écrit en 1979 (L’archipel du goulag est paru) : • « Puisque la tyrannie communiste existe déjà et qu’elle fournit pour ainsi dire une première, et pour l’heure une unique proposition, nous pouvons dire que du point de vue de la technique du pouvoir elle paraît être mieux capable de réaliser nos buts inconfortables que les possibilités qu’offre le complexe capitaliste-démocratique- libéral » (200). • Mieux vaut Brejnev qu’Helmut Schmidt…
7./ DISCIPLINE, ASCESE, RENONCEMENT
a) Eloge de l’URSS qui peut prendre de bonnes décisions impopulaires • Quoi qu’en pensent les citoyens
b) Contre l’électoralisme • Et les débats qui n’en finissent pas dans des synthèses improbables .
c) Avantage du marxisme : • Il a déjà formaté les masses à l’ascèse nécessaire • Endurer les peines au présent au nom d’un avenir • Nécessité de sacrifier la génération présente pour le bonheur de la génération à venir.
d) L’URSS promeut l’esprit de sacrifice • Vante les mérites de la frugalité • De la restriction.
e) le capitalisme vante les mérites de la jouissance immédiate • De l’égoïsme immoral • De la dépense sans conscience • De la vie dans l’abondance • « Des traits ascétiques sont domiciliés dans la discipline socialiste per se : cela pourrait devenir de la plus haute utilité dans l’époque d’exigences et de renoncements âpres qui nous attend » (201).
f) Jonas invite à un programme drastique : • Baisser son niveau de vie, • Consommer moins, • Répartir autrement les richesses de la planète, • Réduire son confort, • Travailler à la promotion de l’agrément des peuples les plus défavorisés • Produire moins • Imposer l’ascèse • Renoncer à la prospérité • Faire une croix sur l’abondance comme finalité • Abolir l’hédonisme consumériste • En finir avec l’égoïsme des sociétés industrialisées • Sauver la planète qui ne pourra tenir longtemps si son exploitation continue ainsi.
g) Il s’agit d’obtenir « l’automodération de l’humanité » (202). « Dans le cas du communisme un complot au sommet en vue du bien, une fois qu’il s’y serait établi, aurait pour lui toute la puissance de l’absolutisme et en plus celle, psychologique, de l’idéal prétexté » (203).
h) Utiliser une dictature pour lui faire réaliser le bien • C’est croire qu’on peut réaliser un bon idéal avec des moyens mauvais • Danger d’avoir le mauvais moyen et de ne pas réaliser les bonnes fins.
8./ L’IMPERATIF ECOLOGIQUE
a) Kantien dans le fond, machiavélien sur la forme
b) Les impératifs catégoriques de Jonas : 1. « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre ». 2. « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie ». 3. « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur terre ». 4. « Inclus dans ton choix actuel l’intégrité future de l’homme comme objet secondaire de ton vouloir » (30).
c) Se démarque de l’impératif catégorique kantien • Qui n’interdisait pas qu’on veuille sa propre destruction : - Rien, chez Kant, n’empêche qu’un homme qui préférerait « un bref feu d’artifice d’extrême accomplissement de soi-même à l’ennui d’une continuation indéfinie dans la médiocrité » (31) puisse vouloir la négativité.
d) Avec Jonas on peut risquer sa vie, mais pas celle de la planète • Obligation à l’endroit de ce qui n’existe pas encore • Cette éthique s’adresse moins à l’individu privé • Qu’aux politiques publiques
9./ ETRE MORAL AVEC MACHIAVEL
a) Comment obtenir le consensus avec des gens à qui on propose le sacrifice ? • Mettre au voix un programme d’ascèse et de frugalité ?
b) Jonas propose « une tyrannie bienveillante » (200). • Insoucieuse des catégories droite / gauche • L’idéologie ne doit plus faire la loi • Que faire pour sauver la planète ?
c) « Là, un nouveau Machiavel pourrait devenir nécessaire, mais qui devrait exposer sa doctrine de manière rigoureusement ésotérique » (203). • L’idéal ? • Une conscience qui assumerait le fardeau de l’impératif écologique
d) « La République de Platon est déjà un bon antidote contre les naïvetés libérales en matière de véracité publique » (203). • Platon : - Mépris de la démocratie - Eloge de l’aristocratie - Justice = inégalité - Eloge du mensonge - Philosophe-roi.
e) Jonas critique les grèves : prise d’otage
f) « Si, comme nous le pensons, seule une élite peut éthiquement et intellectuellement assumer la responsabilité pour l’avenir que nous avons indiqué, comment une telle élite est-elle produite et comment est-elle dotée du pouvoir de l’exercer ? » (200). • Pas de réponse.
10./ LE DERNIER JONAS
a) Revient sur ces questions dans des entretiens : • Une éthique pour la nature • Constate que la situation a empiré • La conscientisation a progressé.
b) Mais l’état de la planète est déplorable • Capitalisme et marxisme co-responsables • Rien n’a été fait pour enrayer l’issue fatale.
c) Planète surpeuplée • Espèces condamnées à mort • Beaucoup ont été détruites.
d) Le capitalisme et le marxisme ne s’amenderont pas • L’action individuelle ne suffit pas • Une élite éclairée ne parviendra jamais au pouvoir • L’électoralisme triomphe.
e) Au Spiegel, mai 1992 : • « J’ai le sentiment que la démocratie, telle qu’elle fonctionne actuellement – et orientée comme elle l’est à court terme -, n’est effectivement pas la forme de gouvernement qui convient à long terme » (29). • Il croit désormais à un « socialisme désenchanté » (133) • Et au pouvoir des conventions internationales.
f) Estime qu’il y a beaucoup de professeurs de philosophie • Mais peu de philosophes • Souhaite qu’on consulte les philosophes en matière de politique.
CONCLUSION
a) En 1980, le chancelier Helmut Schmidt dit qu’il lira Le Principe responsabilité en vacances • Les socio-démocrates s’emparent de ce livre • Au Parlement, enjeu de débats : - Exégèse du texte dans l’enceinte parlementaire - Interprétations contradictoires.
b) Evolution vers le principe de précaution • Il apparaît au sommet de Rio en 1992 • Puis la même année dans le Traité de Maastricht • Puis dans des textes juridiques internationaux.
c) Les vielles démocraties y souscrivent • Les pays insoucieux des droits de l’homme s’en moquent • Juridiction que veulent imposer d’anciens pays riches repus • A des pays de nouveaux riches qui veulent consommer
d) L’heuristique de la peur n’était pas la bonne solution…
BIBLIOGRAPHIE :
• Hans Jonas, Une éthique pour la nature, Desclée de Brouwer
• Ernst Bloch, Le principe espérance, tomes I, II & III, Gallimard
• Ernst Bloch, L’esprit de l’utopie, Gallimard
• Arno Münster, L’utopie concrète d’Ernst Bloch, Kimé