2 novembre 2012
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La philosophie nous apprend-elle à mourir ?
« Et pour commencer à lui ôter son plus grand avantage contre nous, prenons voie toute contraire à la commune. Ôtons-lui l’étrangeté, pratiquons-le, accoutumons-le, n’ayons rien si souvent en la tête que la mort. A tout instant représentons-la à notre imagination et en touts visages. […]
Il est incertain où la mort nous attende, attendons-la partout. La préméditation de la mort est préméditation de la liberté. Qui a appris à mourir, il a désappris à servir. Il n’y a rien de mal en la vie pour celui qui a bien compris que la privation de la vie n’est pas mal. Le savoir mourir nous affranchit de toute sujétion et contrainte. »
Montaigne, Essais, I, 20, PUF, Quadrige, p. 86-87
« Il est certain qu’à la plupart la préparation à la mort a donné plus de tourment que n’a fait la souffrance. […] Si vous ne savez pas mourir, ne vous chaille, nature vous en informera sur le champ, pleinement et suffisamment ; elle fera exactement cette besogne pour vous, n’en empêchez votre soin. […]
Nous troublons la vie par le soin de la mort, et la mort par le soin de la vie. L’une nous ennuie, l’autre nous effraie. Ce n’est pas contre la mort que nous nous préparons, c’est chose trop momentanée : un quart d’heure de passion sans conséquence, sans nuisance, ne mérite pas des préceptes particuliers. A dire vrai, nous nous préparons contre les préparations de la mort. La philosophie nous ordonne d’avoir la mort toujours devant les yeux, de la prévoir et considérer avant le temps et nous donne après les règles et les précautions pour pourvoir à ce que cette prévoyance et cette pensée ne nous blessent. […]
Si nous n’avons su vivre, c’est injustice de nous apprendre à mourir et de difformer la fin de son tout. Si nous avons su vivre, constamment et tranquillement, nous saurons mourir de même. »
Montaigne, Essais, III, 12, PUF, Quadrige, p. 1051-1052
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