Du 25 juillet au 26 août 2011, France Culture diffuse les conférences de Michel Onfray données en 2010-2011 dans le cadre de l’UP de Caen :
Contre-histoire de la philosophie - 9e année - Le freudisme hérétique : Otto Gross, Wilhelm Reich et Erich Fromm
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19/ DECONSTRUCTION DE L'ANALYSE FREUDIENNE - 18.08.2011
Michel Onfray décrypte l’analyse freudienne selon les axes suivants : la distance avec le patient par opposition à l’empathie défendue par Sandor Ferenczi, les tarifs élevés fustigés par Fromm, et le dos-à-dos par opposition au face-à-face préféré par ce dernier.
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SYNOPSIS :
1/. DÉCONSTRUCTION DU RITUEL ANALYTIQUE
Critique des textes de La technique psychanalytique
1. La relation psychanalyste / patient : empathie contre distance
2. Le rôle de l’argent dans la cure : Prix élevé - Refus de la gratuité - Contre le goût freudien du lucre
3. L’usage du divan : Face à face contre divan / fauteuil
4. L’interdit d’une prescription verbale au patient : Silence de l’analyste contre paroles d’aide et direction spirituelle
5. Le rôle du corps : Psyché immatérielle contre corps et visage comme voies d’accès
6. Les fins de l’analyse : Stricte thérapie contre spiritualité laïque
PREMIER TEMPS, L’EMPATHIE CONTRE LA DISTANCE
a) Freud, Conseils aux médecins sur le traitement analytique (1912) : « Pour l’analysé, le médecin doit devenir impénétrable » (69). Pour Fromm : le patient est un partenaire, l’empathie est nécessaire.
b) 6 mois après le Congrès de Salzbourg (1908), Freud songeait à une Théorie générale de la psychanalyse. Elle laisse place à « un petit mémorandum de maximes et de règles de technique » destiné aux analystes. Textes réunis sous le titre La technique psychanalytique : Catéchisme de l’analyste avec détails sur « le cérémonial imposé pendant les séances » (93). Erich Fromm s’insurge contre le « cérémonial », un rituel sans validité doctrinale universelle.
c) Technique freudienne : Divan et décontraction propice à restaurer l’état psychique infantile - Association libre - Analyste derrière la patient pour éviter qu’il n’interprète les mimiques de l’analyste - Impassibilité de l’analyste : aucun signe envers son patient : le psychanalyste doit être comme le chirurgien, « Celui-ci, en effet, laissant de côté toute réaction affective et jusqu’à toute sympathie humaine ne poursuit qu’un seul but : mener aussi habilement que possible son opération à bien » (65).
d) Contre cette façon freudienne, Fromm sort deux psychanalystes du lot : Ferenczi et Groddeck
A./ LE CONFLIT SANDOR FERENCZI / SIGMUND FREUD
Ferenczi pratique aux antipodes
1. Il le fait savoir dans une lettre à Freud de 4 pages
2. Il embrasse ses patients pour les saluer ▪ Partage avec eux des activités hors cabinet ▪ Freud : « Vous n’avez pas dissimulé le fait que vous embrassiez vos patients et que vous les laissiez vous embrasser » (Lettre du 13 décembre 1931).
3. Pour Freud, un baiser = « une intimité érotique » injustifiable ▪ Pas question d’offrir ce genre de satisfaction à un patient ▪ Car ce baiser sera suivi de caresses impossibles à refuser ▪ Puis d’exhibitionnisme et de voyeurisme ▪ Et autres « parties de pelotage »
4. A cette « technique d’affection maternelle » revendiquée par Ferenczi ▪ Freud oppose « la brutale admonestation provenant du père » ▪ Conclut sa lettre en se plaçant dans la place du Père ▪ Et en refusant que l’analyste se mette dans celle de la Mère. ▪ (Or Père ou Mère, c’est rester dans l’affectif que Freud récuse).
5. Le conflit Freud / Ferenczi s’aggrave
6. Ferenczi pleure lors de récits pénibles à entendre…
7. Il échange des confidences avec ses patients : ▪ Bribes d’enfance, fragments de passé psychique…
8. Passe parfois des week-ends avec tel ou tel
B./ JUSTIFICATION DOCTRINALE DE FERENCZI :
a) Saluer son patient en l’embrassant - Pleurer lors du récit d’un épisode traumatique pour lui - Partager du temps hors cérémonial c’est :
b) Restaurer la confiance perdue, recouvrer l’estime de soi, condition nécessaire et suffisante à toute réussite thérapeutique
c) Il faut aussi réaliser une intersubjectivité analytique : Une « analyse réciproque », car l’analysé contribue à l’analyse de l’analyste autant que l’inverse. Le patient soigne le thérapeute autant que l’analyste son client. L’entreprise analytique ne fonctionne pas à sens unique, mais en binôme
d) Ferenczi meurt à 60 ans, et libère Freud d’un analyste trop hérétique…
C./ GRODDECK CONTRE FREUD
a) Fromm défend Ferenczi et Groddeck, « l’analyste sauvage », « Ils n’étaient pas des intellectuels, ils ne ressemblaient pas à la plupart des analystes, qui sont des intellectuels habiles à manipuler des concepts et des théories. Groddeck et Ferenczi étaient des êtres humains ; ils écoutaient avec empathie la personne qu’ils voulaient comprendre, et que leur grande humanité leur faisait considérer comme un partenaire et non comme un objet. Il était très caractéristique de Ferenczi de dire merci à un patient qui s’en allait après la séance ; ce n’était pas de la simple courtoisie – qualité elle-même très rare de la part des analystes – mais c’était plutôt l’expression du sentiment d’avoir vécu un partage avec son patient » (Revoir Freud, 163).
b) Groddeck : en 1920, au V° congrès de l’Association Internationale de Psychanalyse (La Haye). Freud lit Supplément à la théorie des rêves devant : Anna, Géza Roheim, Binswanger, Jones, des américains, des anglais, des hongrois, des autrichiens, des allemands, etc. Groddeck monte à la tribune et dit : « je suis un analyste sauvage ». Suit une intervention décousue. Freud lui envoie un petit mot : Était-ce provocation ou le pensait-il ?
c) Groddeck sombre dans la folie 1. Intervient auprès d’Hitler, il souhaite lui apprendre qu’on persécute des juifs dans le Reich et qu’il ne le sait pas… Envoie une seconde lettre : L’Allemagne avait besoin d’un chef, Hitler n’était pas antisémite, il était légitime dans le rôle du chef 2. Georg Groddeck voulait éradiquer le cancer en Allemagne. Sollicite le concours d’Hitler… 3. Publie Le livre du ça. Emprunte le « ça » à Nietzsche. Analyste libre, extravagant 4. Sa thèse majeure : toute maladie est psychosomatique. La symbolique des organes permet de comprendre le fonctionnement du ça 5. Meurt dans son sommeil le 11 juin 1934 (68 ans)
2./ LE SOUCI DU CORPS DU PATIENT
a) Selon Erich Fromm, la réticence de Freud pour l’empathie est politique. Freud veut une psychanalyse freudienne et non diverse. Se fâche avec Ferenczi et refuse de lui serrer la main. La mort de Ferenczi d’une « anémie pernicieuse » (22 mai 1933). Laisse le champ libre à la milice freudienne
b) Fromm soutient Ferenczi contre Freud : « Rien qu’en entrant dans la pièce où se trouve l’analyste, en lui serrant la main, en le regardant, en écoutant le son de sa voix, vous avez tellement plus d’éléments sur une personne que Freud ne pouvait l’envisager dans un processus où l’analyste est derrière le patient. Je crois que Freud n’a pas pu s’en rendre compte parce qu’il n’était pas immédiatement sensible à l’autre, et qu’il lui fallait l’apport direct des rêves, des symboles, de la libre association, des évènements de l’enfance, etc ». Plutôt : allure, regard, visage, postures que mythologie freudienne - Plutôt psychologie concrète contre métapsychologie idéaliste
c) Indépendamment de la parole. Rencontrer une personne 3 à 5 fois par semaine pendant 2 ou 3 ans. C’est déjà en connaître beaucoup sur lui
d) Le rituel freudien procède de la paillasse de laboratoire sur laquelle on dissèque la grenouille : « Le patient, c’est l’objet sur la table. L’analyste, c’est l’observateur savant, neutre et objectif »
e) Fromm veut en finir avec : Le divan / le fauteuil - Le patient allongé / l’analyste assis - Le client parlant / le psychanalyste silencieux, marmoréen - Le sujet infantilisé / le père tout-puissant. Mais aussi : clientèle payante attendant un succès / Freud payé insoucieux du succès. Ferenczi, Journal clinique (1932) : Freud : « Les patients, c’est de la racaille. Les patients ne sont bons qu’à nous faire vivre, et ils sont du matériel pour apprendre. Nous ne pouvons pas les aider de toute façon… ».
DEUXIÈME TEMPS, L’ARGENT SUR LE DIVAN
a) La séance chez Freud : 450 euros 2011, 1 séance tous les jours, sauf week-ends et vacances. Paiement en liquide : pour avoir conscience de ce que l’on donne. Possibilité d’« attention flottante ». Pendant des années, de 6 mois à 3 ans dit le texte, mais plus dans les faits
b) De la psychothérapie : L’analyse exige « un sacrifice de temps et partant d’argent » (15). Le début d’un traitement : déconseille les tarifs bas (90) qui déconsidèrent l’analyse et l’analyste et empêchent le succès… Une séance non honorée doit être payée (85). Éviter les pauvres : « le bénéfice de la maladie » est plus grand que la guérison…
c) Fromm s’insurge contre ces théories : elles justifient le goût du lucre de Freud « C’est une escroquerie pure et simple ! Une ridicule rationalisation. Ils prétendent que le patient doit faire un sacrifice, sinon l’analyse ne marcherait pas. Un homme riche ne pourrait jamais aller au paradis, car même si vous lui faites payer 20 dollars l’heure, cela ne constituerait pas un sacrifice suffisant pour lui. Ce qui compte en réalité, c’est la profondeur et la qualité du patient et non l’importance de ce qu’il débourse » (159). « J’ai toujours pour ma part pratiqué des tarifs qui permettaient à des gens modestes de venir chez moi. Je n’ai jamais eu de patient ‘riche‘, si ce n’est une fois, et je ne lui ai pas fait payer plus cher. Il m’est arrivé au contraire de baisser mes tarifs si le patient était dans la gêne. J’avais un maximum et non un minimum » (159). Erich Fromm enseignait gratuitement
TROISIÈME TEMPS, LE CORPS A CORPS
a) Contre le dos-à-dos freudien le face-à-face frommien. L’analyste a moins à écouter qu’à expérimenter le vécu du patient, se mettre dans la peau du schizophrène, du pervers, du narcissique, du psychotique, du paranoïaque, du dépressif. Chacun porte en lui une part de ces pathologies. Il faut solliciter pour obtenir une compassion.
b) Souscrit à « l’analyse mutuelle » de Ferenczi. Revoir Freud : « L’analyste analyse son patient mais est également analysé par lui » (165). Car « l’analyste voit dans son patient des expériences et des possibilités dont il n’aurait pas pu être conscient ». Erich Fromm : les psychanalystes ne lui ont rien appris sur lui, ses patients, si.
c) Justification freudienne du divan : il a « pour but et pour résultat d’empêcher toute immixtion, même imperceptible, du transfert dans les associations du patient et d’isoler le transfert, de telle sorte qu’on ne le voit apparaître à l’état de résistance, à un moment donné » Freud (93). Dans Observations sur l’amour de transfert (1915) Freud : le sujet répète des situations infantiles vécues sur le mode traumatique. Répétition sur le principe de la compulsion dans le transfert. Éviter de surprendre des réactions sur le visage de l’analyste évite le transfert
d) Refus de Fromm : ne pas voir ses patients le fatigue, et puis les voir le renseigne
e) Pour Freud, L’analyse profane : dans le cabinet « il ne se passe rien d’autre que ceci entre eux : ils se parlent » (9)
f) Échange de mots pour Freud : deux inconscients qui communiquent
g) Échange de signes pour Fromm (cf. Lacan) : deux corps qui communiquent.
QUATRIÈME TEMPS, LA PRESCRIPTION EXISTENTIELLE
a) Conseils aux médecins (69-70), Freud empêche le psychanalyse d’intervenir dans la vie de son patient. Vision du monde métapsychologique
b) Fromm: « Si je pense qu’il y a dans sa vie des choses incompatibles avec une attitude saine, je n’hésiterai pas à le lui dire avec insistance, et si le patient ne désire pas accomplir des changements, cela dépend évidemment de lui, mais je lui préciserai alors que dans ces conditions l’analyse ne pourra conduire nulle part » (172-173). Vision du monde historique. Psychologie concrète
c) Pour un renouveau dialectique de la psychanalyse : « L’approche spécifique du corps comme moyen d’appréhender l’inconscient a été laissé complètement hors du champ d’investigation de la théorie analytique classique. Un aspect de cette approche, uniquement rhétorique, faisait du corps un symbole de l’âme. Pourtant, la complexion du corps, les postures, la démarche, les gestes, l’expression du visage, la façon de respirer, de parler en disent autant, voire plus, sur l’inconscient de quelqu’un que n’importe quelle autre donnée traditionnellement recueillie pendant le processus analytique » (69).
d) La psychanalyse, une spiritualité : 1. Pour Freud, L’intérêt que présente la psychanalyse (1913) : « La psychanalyse est un procédé médical qui vise à la guérison de certaines formes de nervosité (névroses) au moyen d’une technique psychologique » (XII.89). 2. Pour Fromm : a) Discipline existentielle de connaissance de soi et de construction de soi « De plus en plus, la psychanalyse a attiré des gens qui étaient malheureux et insatisfaits de leur vie, qui se sentaient anxieux et sans joie de vivre » b) Des personnes en quête de bien-être, soucieuses d’exprimer toutes leurs potentialités, désireuses d’aimer pleinement, de surmonter leur narcissisme ou leur agressivité c) Des sujets qui souffrent d’insomnie, de problèmes de couple, de souffrances dans leur métier, de problèmes relationnels amoureux, d’incapacité à éduquer leurs enfants, à l’étroit dans leurs familles. Autant d’indicateurs d’insatisfaction générale, plus que de pathologie lourde
d) On ne soigne cela que par un changement existentiel radical, changement d’être au monde, de relations, de professions, de lieu de vie, de métier, de conjoint. De tout ce qui entrave le plein épanouissement
e) « L’existence humaine est une absurdité » dit Erich Fromm. Elle n’a que le sens qu’on lui donne
f) Une vie insensée génère des pathologies : souffrance, mauvaise conscience, angoisses, somatisations, peurs, inquiétudes
g) La psychanalyse peut aider à donner un sens à son existence, par la connaissance de son inconscient. Quelle relation avec Freud et sa découverte ? « si nous avons à l’esprit son projet général de faire accéder ses patients à un niveau maximal de lucidité et de raison, l’idée d’une psychanalyse comme méthode de guérison spirituelle, bien que tout à fait en opposition avec les hypothèses rationalistes de Freud, peut néanmoins se rapprocher du dessein le plus intime de son fondateur : non seulement guérir le patient de sa maladie mais lui ouvrir la voie au bien-être » (79). La psychanalyse comme voie d’accès à l’hédonisme ?
BIBLIOGRAPHIE :
Ernest Jones, Théorie et pratique de la psychanalyse, Payot
Erich Fromm, Revoir Freud, Armand Colin
C. et S. Grossman, L'analyste sauvage. Georg Groddeck, puf
Freud, La technique psychanalytique, puf
Ferenczi, Freud, Correspondance, tomes 1, 2 et 3, Calmann Lévy
Georg Groddeck, Le livre du ça, Tel Gallimard
Constance