Du 25 juillet au 26 août 2011, France Culture diffuse les conférences de Michel Onfray données en 2010-2011 dans le cadre de l’UP de Caen :
Contre-histoire de la philosophie - 9e année - Le freudisme hérétique : Otto Gross, Wilhelm Reich et Erich Fromm
8/ LE PROGRAMME EXISTENTIEL DE WILHELM REICH - 03.08.2011
"A travers l’analyse de l’ouvrage autobiographique « Passion de jeunesse » du psychanalyste Wilhelm Reich, Michel Onfray revisite l’existentialisme selon l’un des plus fervents militants de l’émancipation sexuelle du début du XXème siècle."
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SYNOPSIS :
1./ AUTOBIOGRAPHIE ET FORMATION D'UNE PSYCHÉ
a) Clés dans Passions de jeunesse. Une autobiographie, 1897-1922
b) Psychanalyste & philosophe, méditatif & actif, militant & chercheur
c) Thématiques : Quid de l’énigme de la libido ? Sa nature biologique, sa fonction sociale, ses usages libertaires, ses mésusages totalitaires, ses potentialités thérapeutiques, ses virtualités révolutionnaires
2./ COHÉRENCE D’UNE PENSÉE BERGSONIENNE
a) Des périodes : 1. Jeunesse et inconscient viennois : souscription aux idéaux freudiens 2. Maturité et freudo-marxisme : économie sexuelle biologique et politique 3. Moment américain : énergie d’orgone à capturer de la dernière période
b) … mais une ligne fixe : Qu’est-ce que cet élan vital découvert chez Bergson ? Dont il lit Essai sur les données immédiates de la conscience, et L’évolution créatrice, puis Matière et mémoire.
c) Son bergsonisme, souscrit à ces thèses de Bergson : récuse le matérialisme mécaniciste et le finalisme, rôle du temps et de la durée dans la vie mentale, conception de l’unité du Moi
d) L’organisme n’est pas une machine, une mécanique
e) Reich n’a pas de formation philosophique – mais médicale, mais il ressent que le penseur de l’élan vital, de l’intuition, peut l’aider dans sa voie.
f) Dans la diversité du trajet, cette constance : Quid de cette substance architectonique du monde ? Et de l’être de l’homme à celui du cosmos ?
g) « Fou bergsonien » selon son entourage : 1. D’accord avec le Bergson qui affirme l’existence d’un principe d’une force régissant la vie 2. Pas d’accord devant le caractère théorétique de cette affirmation, il aspire au devenir tangible de cette force, à la décrire, à la manier dans la pratique. 3. Il est un bergsonien de terrain.
3./ L’ENFANCE D’UN SEXE
A) Les parents : sous le signe nocturne
a) Naît le 24 mars 1897 à Dobrzcynica, alors en Autriche-Hongrie, aujourd’hui Ukraine
b) Père directeur d’un grand domaine agricole dirigé d’une main de fer. 1. Sur le mode hiérarchique et patriarcal, violent, il frappe ses enfants et sa femme mais aussi ses employés devant le personnel. 2. Figure importante dans la critique du « petit homme » : caractère tyrannique, violent, agressif, atrabilaire, autoritaire avec laquelle on grossit le rang des totalitarismes…
c) Une soeur 1 an après sa naissance : elle meurt rapidement. Naissance d’un frère
d) Mère au foyer : elle dirige la maisonnée, personnel et domestiques en nombre. Le père s’occupe des journaliers, des domestiques, des valets, des paysans des villages environnants. « La structure de l’exploitation était de type absolument hiérarchique et patriarcal ».
B) La sexualité : sous le signe solaire
a) Sexualité visible dans la ferme : chiens, chevaux. Bonne et cocher : à 4 ans ½ il assiste à ces ébats et y prend plaisir. Premières sensations érotiques à cette occasion
b) Sollicite sa nourrice qui le laisse faire, grimpe sur elle, touche son sexe, se souvient de premières érections. Réveillé, son petit frère raconte tout. Le père sépare l’enfant de sa nourrice et interdit le lit commun
c) Quelques années plus tard, conversation de sa mère et d’une amie. La mère demande si son fils pourrait lui « servir » avant la puberté… Le père plaisante la jeune fille sur ses allusions sexuelles mais en présence de son épouse
d) Reich épie un ouvrier agricole demeuré, nu dans la campagne qui se masturbe. Travailleurs nus dans la rivière
e) Vitalité sexuelle simple qui émeut l’enfant
f) Onaniste
g) Masturbe une jument avec le manche d’un fouet. Écarte les jambes, urine puissamment. Avoue un premier orgasme sans éjaculation, réitère l’action pendant deux mois. Note les différences de réaction, indifférence, indolence de la vieille jument, ou ruades impressionnantes de la plus jeune. Conclut à la subjectivité sexuelle
h) Orgasme sans éjaculation & subjectivité sexuelle : deux expériences fondatrices pour l’auteur de La fonction de l’orgasme.
4./ L’EXPÉRIENCE DE LA TRAHISON
A) Un programme existentiel :
a) De 10 à 18 ans : un chapitre intitulé « La catastrophe »
b) Expérience fondatrice pour ce penseur qui passe sa vie : à déculpabiliser le sexe, à traquer et dénoncer la construction névrotique de la misère sexuelle
c) S’il aspire à promouvoir et accompagner : la lutte sexuelle des jeunes, à souhaiter avec ardeur la révolution sexuelle, à s’interroger sur la fonction de l’orgasme, à analyser l’irruption de la morale sexuelle, à critiquer le patriarcat psychologie de masse du fascisme, à préconiser l’analyse caractérielle. C’est pour réaliser un programme existentiel…
B) Les faits :
a) Son père demande : ville à l’école ou campagne avec précepteur pour ses études ? Choisit de rester près de sa mère qui veut garder son fils près d’elle.
b) Le père engage un étudiant en droit comme précepteur, excellent pédagogue. Découvre la poésie allemande, la botanique avec les herborisations, le latin et la civilisation antique.
c) Pour ses boîtes à papillon, va voir le charron qui a une jolie fille. Promet du tabac à l’artisan. Accède au bureau de son père, vole du tabac, découvre un album de nus et un Conseiller du mariage avec planches anatomiques. Lecture de cet ouvrage de 150 pages avec une continuelle érection…
d) Le père découvre qu’on a fouillé son bureau. Demande à son fils de se dénoncer. Refus - habitué aux coups, il nie. La mère entre dans la pièce avec une machine à rouler les cigarettes trouvée dans la poche de veste de l’enfant
e) Subit les coups mais parle de la « trahison » de sa mère. Des années plus tard, « Elle m’avait livré à mon père ! Je ne pouvais pas m’en consoler et ne le lui pardonnerai d’ailleurs jamais »…
f) Plus tard, vers 11 ans ½, première relation sexuelle avec la cuisinière. Accueille l’éjaculation comme un accident… Relations sexuelles avec elle tous les après-midi pendant des années. Ses parents font alors la sieste
g) Contrairement à Freud, Reich apprend la sexualité dans la vie, pas dans les livres…
5./ LA SCÈNE GÉNÉALOGIQUE :
a) Sa mère a 33 ans, mariée depuis l’âge de 19 ans avec cet homme jaloux, colérique, violent, agressif, chasseur
b) Elle rejoint un nouveau précepteur dans sa chambre pendant la sieste du mari… Pendant 3 mois, Reich se lève pour assister aux étreintes furtives de sa mère
c) Un jour d’absence du mari, elle a un véritable rapport sexuel. Reich envisage de tout rapporter au père, se ravise, avoue avoir du plaisir à regarder, Reich avoisine les 12 ans.
d) Voyage du mari pendant 3 semaines, assiste chaque jour à la scène
e) En 1919, dix ans plus tard (22ans), le futur auteur de La révolution sexuelle écrit : « Ignoble souvenir », « boue », « souillures », « saletés », « horribles bruits », « ordures » et de « nuit catastrophique »…
f) Envisage d’entrer dans la chambre. Peur qu’on le tue, renonce. Épie la nuit, dit en jouir aussi. Une envie, revendiquer le droit de copuler avec sa mère, mais commente entre parenthèse : « pouah »… Envahi par « un profond sentiment de malheur et d’abandon ». Se console avec sa cuisinière…
g) La grand-mère de Reich couvre les agissements de sa fille
h) Le précepteur quitte la maison pour les vacances. Le père n’a rien vu… Reich n’a pas parlé. Le père propose de reprendre le précepteur à la rentrée, la mère refuse avec véhémence… Reich prend cette dénégation pour un « repentir » + bons sentiments
i) Un nouveau précepteur le remplace. Se fait sans cesse rabrouer par la mère
j) Le père surprend alors une situation équivoque entre le précepteur et la mère.
6./ LA TRAHISON POUR RÉPONDRE À LA TRAHISON
a) Le père frappe la mère, l’insulte, la menace, etc. Il exige des aveux ; elle nie tout.
b) Le père surgit dans la pièce et questionne les enfants. Reich raconte tout… A cet instant, la mère avale du poison (Lysol, détergent pour toilettes). Le père la fait vomir ; blessée, elle survit.
c) Tiraillé entre jalousie et compassion, ressentiment et pitié. Conduit le précepteur au chevet de sa femme pour présenter des excuses en présence des enfants
d) Précepteur révoqué
e) Reich envoyé en ville. Pension de famille pendant 4 ans. Existence agréable
f) Le père découvre la complicité de sa belle-mère. Elle avait acheté des préservatifs dans une pharmacie. La mère de Reich lui avait aussi parlé de divorce et de remariage avec le précepteur.
g) Le père entre en délire : veut soit tuer le précepteur soit le contraindre à épouser sa femme
h) Une fois prétend comprendre cette histoire, une autre, recommence les coups
i) Le père invente des amants à sa femme. Prend les enfants à témoin, leur demande de l’aide. Bien que régulièrement frappée, la mère supplie son mari de la garder. Menace de se pendre s’il la quitte…
j) Elle refait une tentative de suicide. Le père se calme un temps, puis recommence…
k) 3è tentative. Sur son lit d’agonisante, demande ses fils. Le père pleure, demande pardon. Elle effectue le décompte des heures qui lui restent. Meurt après deux jours d’agonie. Reich a 15 ans
l) Dépression du père
7./ LA MORT DU PÈRE
a) Poursuit ses études. Fréquente les bordels. Se masturbe compulsivement. Dégoût de vivre
b) Les affaires du père périclitent puis sombrent
c) Le père souscrit une assurance pour ses deux fils. S’expose au froid en entrant dans l’eau d’un lac pour pêcher, prend froid. Tuberculose. Le fils le conduit au sanatorium et revient vers Vienne. Le père meurt pendant son trajet de retour. Il a 17 ans
CONCLUSION : L’OEUVRE POUR « COMPENSER UN MÉFAIT »
a) Note ajoutée à son texte en 1944 : « Comme mon jugement de 1919 était faux ! La situation est maintenant claire pour moi, ce que fit ma mère était parfaitement juste. Ma dénonciation, qui lui coûta la vie, était une revanche : elle m’avait dénoncé à mon père lorsque j’avais volé le tabac pour le charron, c’était à mon tour de la dénoncer ! Quelle tragédie ! J’aimerais que ma mère soit aujourd’hui en vie afin de réparer le crime que j’ai commis il y a trente-cinq ans. J’ai placé en évidence un portrait de cette noble femme pour pouvoir la regarder sans arrêt. Quelle noble créature, cette femme… ma mère ! Puisse l’oeuvre de ma vie compenser mon méfait. Vue la brutalité de mon père, elle avait parfaitement raison ».
b) L’oeuvre comme compensation de ce méfait :
1. Guerre au patriarcat 2. La sexualité non épanouie, « l’impuissance orgastique », cause de névrose 3. Appel à l’abolition de la famille classique 4. Destruction de l’association : Mariage, couple, fidélité, monogamie, procréation. 5. Pour l’amour libre : Sexualités épanouies loin de contraintes matérielles qui les mutilent 6. Dissocier sexualité & procréation 7. Déculpabiliser l’acte sexuel : En faire un chose naturelle et simple 8. Justifier les relations extra-conjugales 9. Prévenir les naissances 10. Éducation sexuelle généralisée 11. Faciliter l’avortement 12. Distribuer des préservatifs 13. Simplifier le divorce 14. Égalité totale entre hommes & femmes 15. Pédagogie anti-autoritaire et libertaire 16. Contre l’hypocrisie bourgeoise et son double langage 17. Abolition de toute morale ascétique.
BIBLIOGRAPHIE :
- Reich, Passion de jeunesse, L'arche
- Deleuze, Le bergsonisme, puf
- Bergson, Oeuvres, puf
- Gérard Guasch, Wilhelm Reich. Biographie d'une passion, Sully
Constance