Pertinente critique du "nouveau féminisme" prôné par Michel Onfray dans sa chronique mensuelle N°77 "La salope éthique" - par Clopine Trouillefou.
"Quelle victoire, de croire qu'on revendique une liberté sexuelle authentique, en arborant les accessoires des poupées Barbie ! "
"Déjà que j'attends avec une certaine appréhension son discours sur l'écologie - parce qu'il y aura sans doute là un hiatus pour l'hédonisme, qui est la théorie philosophique qui me plaît le plus, et dont Michel Onfray s'est fait le chantre, ce qui n'est pas sans m'inquiéter... Mais alors, sur le féminisme, il n'est pas piqué des hannetons non plus notre philosophe !
Sa chronique du mois d'octobre 2011 présente un "nouveau féminisme" (qu'il aurait, lui, Michel Onfray, déjà défriché dans son livre "Le souci des plaisirs"), qui se définit ainsi :
La salope éthique est amoureuse, mais elle vit des relations multiples. Pour éviter l’inévitable souffrance du partenaire, elle met en place une éthique de la prudence qui évite autant la transparence sartrienne que le silence petit-bourgeois. Elle suppose une pragmatique concrète, par exemple, une vie de couple, mais dans des appartements séparés. Ce texte se propose de réhabiliter le plaisir sexuel qui fait des vagues même, et surtout, parmi les féministes dont certaines sont prudes, communient dans la haine des hommes pensés comme des agresseurs sexuels par principe, méprisent les jeux amoureux entre égaux des corps sexy, ludiques et joyeux, etc."
Avant de présenter ce "nouveau courant féministe" (? euh, nouveau, sûrement pas, si j'en crois mes souvenirs, m'enfin...), Michel Onfray commence sa chronique par une charge ironique sur, je cite :
"Quelques bourgeoises qui s’ennuient à Paris ont décidé de se dire féministes comme sur un coup de tête on va prendre un thé et manger des macarons chez Ladurée. Entre deux bouchées sucrées, on brise des lances et on refait le monde : « inadmissible que le masculin l’emporte sur le féminin… dans la grammaire ! Faisons donc la révolution » disent ces dignes descendantes de Louise Michel ! Désormais on parlera de professeure, d’auteure, de réalisateure, de sénateure, et passim. Nouvelle lubie, il y a peu, il s’agissait d’en finir avec « Mademoiselle ». Nouvelle révolution… Ce féminisme médiatique fait honte aux femmes – en même temps qu’il doit faire la joie des hommes : tant qu’ils n’ont que ce genre d’adversaires, ils peuvent continuer à dormir sur leurs deux…"
Eh bien, vous savez quoi, Michel Onfray ? Je vous trouve un peu court, jeune homme. Comme on ne peut pas dialoguer directement avec vous, je m'en vais simplement égrener ici même quelques réflexions, basées sur une réalité vécue par votre humble servante.... Et qui fait que je ne peux vraiment pas apprécier ce texte provocateur, si bien dans votre manière... Vous me direz que c'est parce qu'il touche précisément son but qu'il m'irrite, et que lorsque Michel Onfray tape sur des cibles qui ne me concernent pas directement, mon adhésion lui est bien plus facilement acquise ? Eh bien, il n'empêche qu'à mon tour, j'ai envie de dire deux-trois évidences, histoire de les rappeler.
UN - le féminisme en France ne s'est pas borné à un "coup de tête de bourgeoises parisiennes", mais a été un mouvement en profondeur, une lutte qui a tenté vaille que vaille de s'organiser, une bataille du pavé, un mouvement qui a enfin fait surgir l'idée, occultée par tous jusque là, que le "privé est politique", et qui a forcé le gouvernement de l'époque (la fin des années 70) à prendre des mesures concrètes, notamment législatives et sanitaires. J'en étais. Je me souviens d'avoir détalé devant des CRS qui, bourgeoises ou pas, femmes ou pas, nous bombardaient de gaz lacrymogènes, pendant que dans le palais de justice de Rouen se déroulait le procès du professeur Duval, sinistre calottin anti-avortement. J'ignore absolument la boutique "chez Ladurée", et je m'en tape.. Quant à la lutte sur la féminisation du vocabulaire, non seulement elle permettait de "'mettre au jour" le continent noir de la présence féminine au monde, mais encore elle n'était qu'un volet mineur d'une contestation bien plus profonde, radicale, et changeant le monde à tout jamais. Mes souvenirs de luttes féministes sont d'une bien autre portée, et Michel Onfray m'insulte en rapetissant cette époque au dérisoire qu'il décrit.
DEUX - Les thèses de Sydney Barnett, pour séduisantes qu'elles soient et remarquablement conformes à mes propres aspirations (et à une certaine époque de ma vie), doivent cependant être tempérées. Car elles font l'impasse, à mon sens, sur les différents "temps" qui rythment la vie d'une femme, telle qu'elle se construit, et dont une Simone de Beauvoir tenait compte, elle. Non, on n'est pas simplement, dans une vie de femme, éternellement en proie à la question du rapport à sa sexualité : on existe en tant que petite fille, en tant que mère aussi, en tant que personne âgée. Le discours de Barnett est bien trop étroit pour rendre compte, philosophiquement, de l'expérience d'être une femme au milieu du monde.
TROIS - Là, nous touchons le grotesque. Afin de démontrer que ce n'est pas la mini-jupe ni le décolleté qui provoquent les viols (et, excusez-moi, mais on a pas attendu Mme BARNETT pour le savoir), des manifestations, je récite l'article d'Onfray " une « Marche des Salopes » (qui) réunissait au Canada, puis dans soixante-dix villes du monde entier, des défilés de femmes avec minijupes, talons aiguilles et décolletés." ont été organisées.
J'ignore réellement qui a organisé ces "marches", si chaleureusement saluées par MO. Je les trouve, moi, bien pauvres, indignes, imbéciles : car la véritable liberté des femmes commencent par la liberté de mouvement. De tous temps, les "modes" féminines cherchent à entraver leur liberté. Pour moi, le talon aiguille, les tenues trop ajustées, l'incroyable sophistication et la platitude, la normalisation outrée, le code rigidifié à l'extrême de la "beauté occidentale" sont exactement de la même nature que les pieds mutilés des chinoises, que l'obésité entretenue des femmes de harem, que toutes ces sortes de "féminité" imposées, et qui, comme par hasard, RESTREIGNENT TOUS LA LIBERTÉ DE MOUVEMENT.... Dans quel monde vivent donc ces femmes, qui font semblant de choisir librement ce qui est en fait le symbole même de leur asservissement aux fantasmes masculins de domination ? Quelle victoire, de croire qu'on revendique une liberté sexuelle authentique, en arborant les accessoires des poupées Barbie ! Et, encore une fois, quelle réduction de la vie des femmes à une période d'activité sexuelle intense, alors qu'être une femme, c'est subir, encore aujourd'hui, non seulement des tenues qu'il conviendrait de brûler plutôt que d'afficher (et là encore, Onfray devrait se souvenir des filles qui brûlaient leurs soutifs... ), mais une série de discriminations, allant du berceau à la tombe.
QUATRE : la pensée de Michel Onfray est ici si pauvre, et le "nouveau mouvement" auquel il rend hommage est si réducteur et si auto-complaisant, sans compter le contresens complet sur le mot "féminité" (qui ne se réduit ni à une paire de talons aiguilles ni à une apparence fondée sur ce qu'il y a de plus pauvre dans l'esthétique occidentale, si normatée, si indigente !) , que cela me navre - pauvres revendications d'une saloperie "étique", oui, ignorant que la beauté et la force des femmes vont bien au-delà des colifichets de la mode occidentale, et d'une soi-disant "saloperie" (c'est-à-dire appétit sexuel) assumé. De la petite fille qui a osé réclamer un divorce à dix ans, à la splendide beauté des saris indiens (par exemple), des vêtements qui laissent toute la liberté de mouvements aux femmes contrairement aux talons aiguilles (*) et aux burkas, Onfray passe décidément à côté des vraies problématiques de la lutte des femmes."
(*) : et pour détaler devant des crs, je déconseille formellement les talons aiguilles et tutti quanti...