En couverture du Point du 17 juillet 2014 un article signé Michel Onfray « Combattre l’incivilité, c’est résister à la barbarie ». En voici un extrait:
Olivia Recasens: Faut-il voir dans la montée des incivilités un indicateur du degré de notre civilisation ?
Michel Onfray: La politesse est le premier degré de la morale, elle est le signe éthique par excellence. Par elle, on dit à l’autre qu’on a vu qu’il existait et qu’on prend en considération sa présence, donc son existence . (…)
Olivia Recasens: Le triomphe du chacun-pour-soi serait-il le dernier avatar du libéralisme sauvage ?
La fin de tout ce qui faisait communauté (la religion avec le judéo-christianisme et la politique avec les idéaux marxistes) a laissé place au nihilisme d’une époque dans laquelle, en effet, l’argent fait la loi. Le libéralisme, en tant qu’il suppose les pleins pouvoirs du marché, a substitué des « valeurs » aux valeurs anciennes: l’idéal se trouve moins dans le prêtre ou dans le militant que dans l’égotiste, qui se permet tout.
Olivia Recasens: Mais jouir aux dépens des autres marque le triomphe de la liberté individuelle, celle du bon plaisir; faudrait-il donc s’en réjouir ?
Michel Onfray: Non, sûrement pas. Tout ce qui s’obtient aux dépens des autres est à éviter: je suis l’autre pour des milliards de personnes sur la planète, il me faut donc être avec les autres comme j‘aimerais que les autres soient avec moi. C’est l’éthique minimale en nos temps sans transcendance. Se savoir centre du monde d’un point de vue ontologique en sachant que chacun se sait aussi pareillement centre du monde et qu’il faut donc connecter en permanence ces centres pour réaliser des réseaux éthiques et produire de la morale en actes. (…)
Olivia Recasens: Si faire preuve d’incivilité, c’est nuire à tous en ne respectant personne, dès lors comment encore vivre ensemble ?
Michel Onfray: En inversant l’invitation évangélique qui disait: « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse » au profit de celle-ci: « Fais à autrui ce que tu voudrais qu’il te fasse ». On passerait alors d’une morale de l’évitement de la négativité à une éthique positive de la proposition volontariste hédoniste. Non pas vouloir éviter le mal, ce qui est déjà beaucoup, mais réaliser le bien, ce qui est mieux.
Olivia Recasens: L’homme n’a jamais réussi qu’en coopérant; la loi du chacun-pour-soi signe-t-elle la fin de l’humanité ?
Michel Onfray: Il y a les sauvages, les barbares, les égoïstes, les brutes qui sont seuls au monde et chosifient tout ceux qu’ils approchent et tous ceux qui les approchent. Puis il y a les hédonistes, les altruistes, les généreux, les prodigues qui veulent transformer en fête toute relation avec autrui. Les premiers sont plus nombreux que les seconds, bien sûr. Et la brutalité l’emporte toujours quand elle est en compétition avec la gentillesse - qui est à mes yeux vertu cardinale et première.
Olivia Recasens: Au final, combattre l’incivilité, n’est-ce pas résister à la barbarie ?
Michel Onfray: Si, absolument, et d’une façon éminemment concrète.