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15 juillet 2018 7 15 /07 /juillet /2018 18:34

 

Pertinente critique du "nouveau féminisme"  prôné par Michel Onfray dans sa chronique mensuelle N°77 "La salope éthique" - par Clopine Trouillefou.

féminisme_poupéebarbie_salopeéthique

"Quelle victoire, de croire qu'on revendique une liberté sexuelle authentique, en arborant les accessoires des poupées Barbie ! "


"Déjà que j'attends avec une certaine appréhension son discours sur l'écologie - parce qu'il y aura sans doute là un hiatus pour l'hédonisme, qui est la théorie philosophique qui me plaît le plus, et dont Michel Onfray s'est fait le chantre, ce qui n'est pas sans m'inquiéter...  Mais alors, sur le féminisme, il n'est pas piqué des hannetons non plus notre philosophe !

Sa chronique du mois d'octobre 2011  présente un "nouveau féminisme" (qu'il aurait, lui, Michel Onfray, déjà défriché dans son livre "Le souci des plaisirs"), qui se définit ainsi   :

"Sonya Barnett (qui) fonde ainsi un nouveau féminisme  a voulu réagir au lieu commun supposant que le viol des femmes est provoqué par leur tenue.  Autrement dit : le criminel sexuel n’est ni responsable, ni coupable, en revanche, le décolleté ou la jupe courte d’une femme, si. Sonya Barnett est une lectrice attentive de "La salope éthique", un magnifique titre oxymorique qui n’est pas traduit en français. Cet ouvrage de Dossie Easton & Janet Hardy a été publié en 1997. Best-seller, il est « devenu le manifeste des partisans d’une sexualité libre, déculpabilisée et morale ».


La salope éthique est amoureuse, mais elle vit des relations multiples. Pour éviter l’inévitable souffrance du partenaire, elle met en place une éthique de la prudence qui évite autant la transparence sartrienne que le silence petit-bourgeois. Elle suppose une pragmatique concrète, par exemple, une vie de couple, mais dans des appartements séparés. Ce texte se propose de réhabiliter le plaisir sexuel qui fait des vagues même, et surtout, parmi les féministes dont certaines sont prudes, communient dans la haine des hommes pensés comme des agresseurs sexuels par principe, méprisent les jeux amoureux entre égaux des corps sexy, ludiques et joyeux, etc."


Avant de présenter ce "nouveau courant féministe" (? euh, nouveau, sûrement pas, si j'en crois mes souvenirs, m'enfin...), Michel Onfray commence sa chronique par une charge ironique sur, je cite : 

"Quelques bourgeoises qui s’ennuient à Paris ont décidé de se dire féministes comme sur un coup de tête on va prendre un thé et manger des macarons chez Ladurée. Entre deux bouchées sucrées, on brise des lances et on refait le monde : « inadmissible que le masculin l’emporte sur le féminin… dans la grammaire ! Faisons donc la révolution » disent ces dignes descendantes de Louise Michel ! Désormais on parlera de professeure, d’auteure, de réalisateure, de sénateure, et passim. Nouvelle lubie, il y a peu, il s’agissait d’en finir avec « Mademoiselle ». Nouvelle révolution… Ce féminisme médiatique fait honte aux femmes – en même temps qu’il doit faire la joie des hommes : tant qu’ils n’ont que ce genre d’adversaires, ils peuvent continuer à dormir sur leurs deux…"

Eh bien, vous savez quoi, Michel Onfray ? Je vous trouve un peu court, jeune homme. Comme on ne peut pas dialoguer directement avec vous, je m'en vais simplement égrener ici même quelques réflexions, basées sur une réalité vécue par votre humble servante.... Et qui fait que je ne peux vraiment pas apprécier ce texte provocateur, si bien dans votre manière... Vous me direz que c'est parce qu'il touche précisément son but qu'il m'irrite, et que lorsque Michel Onfray tape sur des cibles qui ne me concernent pas directement, mon adhésion lui est bien plus facilement acquise ? Eh bien, il n'empêche qu'à mon tour, j'ai envie de dire deux-trois évidences, histoire de les rappeler. 

 
UN - le féminisme en France ne s'est pas borné à un "coup de tête de bourgeoises parisiennes", mais a été un mouvement en profondeur, une lutte qui a tenté vaille que vaille de s'organiser, une bataille du pavé, un mouvement qui a enfin fait surgir l'idée, occultée par  tous jusque là, que le "privé est politique", et qui a forcé le gouvernement de l'époque (la fin des années 70) à prendre des mesures concrètes, notamment législatives et  sanitaires. J'en étais. Je me souviens d'avoir détalé devant des CRS qui, bourgeoises ou pas, femmes ou pas, nous bombardaient de gaz lacrymogènes, pendant que dans le palais de justice de Rouen se déroulait le procès du professeur Duval, sinistre calottin anti-avortement. J'ignore absolument la boutique "chez Ladurée", et je m'en tape.. Quant à la lutte sur la féminisation du vocabulaire, non seulement elle permettait de "'mettre au jour" le continent noir de la présence féminine au monde, mais encore elle n'était qu'un volet mineur d'une contestation bien plus profonde, radicale, et changeant le monde à tout jamais.  Mes souvenirs de luttes féministes sont d'une bien autre portée, et Michel Onfray m'insulte en rapetissant cette époque au dérisoire qu'il décrit.


DEUX - Les thèses de Sydney Barnett, pour séduisantes qu'elles soient et remarquablement conformes à mes propres aspirations (et à une certaine époque de ma vie), doivent cependant être tempérées. Car elles font l'impasse, à mon sens, sur les différents "temps" qui rythment la vie d'une femme, telle qu'elle se construit, et dont une Simone de Beauvoir tenait compte, elle. Non, on n'est pas simplement, dans une vie de femme, éternellement en proie à la question du rapport à sa sexualité : on existe en tant que petite fille, en tant que mère aussi, en tant que personne âgée. Le discours de Barnett est bien trop étroit pour rendre compte, philosophiquement, de l'expérience d'être une femme au milieu du monde. 

 
TROIS - Là, nous touchons le grotesque. Afin de démontrer que ce n'est pas la mini-jupe ni le décolleté qui provoquent les viols (et, excusez-moi, mais on a pas attendu Mme BARNETT pour le savoir), des manifestations, je récite l'article d'Onfray " une « Marche des Salopes » (qui) réunissait au Canada, puis dans soixante-dix villes du monde entier, des défilés de femmes avec minijupes, talons aiguilles et décolletés." ont été organisées. 

J'ignore réellement qui a organisé ces "marches", si chaleureusement saluées par MO. Je les trouve, moi, bien pauvres, indignes, imbéciles : car la véritable liberté des femmes commencent par la liberté de mouvement. De tous temps, les "modes" féminines cherchent à entraver leur liberté. Pour moi, le talon aiguille, les tenues trop ajustées, l'incroyable sophistication et la platitude, la normalisation outrée, le code rigidifié à l'extrême  de la "beauté occidentale" sont exactement de la même nature que les pieds mutilés des chinoises, que l'obésité entretenue des femmes de harem, que toutes ces sortes de "féminité"  imposées, et qui, comme par hasard, RESTREIGNENT TOUS LA LIBERTÉ DE MOUVEMENT.... Dans quel monde vivent donc ces femmes, qui font semblant de choisir librement ce qui est en fait le symbole même de leur asservissement aux fantasmes masculins de domination ? Quelle victoire, de croire qu'on revendique une liberté sexuelle authentique, en arborant les accessoires des poupées Barbie ! Et, encore une fois, quelle réduction de la vie des femmes à une période d'activité sexuelle intense, alors qu'être une femme, c'est subir, encore aujourd'hui, non seulement des tenues qu'il conviendrait de brûler plutôt que d'afficher (et là encore, Onfray devrait se souvenir des filles qui brûlaient leurs soutifs... ), mais une série de discriminations, allant du berceau à la tombe. 

 
QUATRE : la pensée de Michel Onfray est ici si pauvre, et le "nouveau mouvement" auquel il rend hommage  est si réducteur et si auto-complaisant, sans compter le contresens complet sur le mot "féminité" (qui ne se réduit ni à une paire de talons aiguilles ni à une apparence fondée sur ce qu'il y a de plus pauvre dans l'esthétique occidentale, si normatée, si indigente !) , que cela me navre - pauvres revendications d'une  saloperie "étique", oui, ignorant que la beauté et la force des femmes vont bien au-delà des colifichets de la mode occidentale, et d'une soi-disant "saloperie" (c'est-à-dire appétit sexuel) assumé. De la petite fille qui a osé réclamer un divorce à dix ans, à la splendide beauté des saris indiens (par exemple),  des vêtements qui laissent toute la liberté de mouvements aux femmes contrairement aux talons aiguilles (*) et aux burkas, Onfray passe décidément à côté des vraies problématiques de la lutte des femmes."

Clopine Trouillefou       
 

(*) : et pour détaler devant des crs, je déconseille formellement les talons aiguilles et tutti quanti...

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27 septembre 2013 5 27 /09 /septembre /2013 15:53

 

 

femen religions

Dans sa chronique mensuelle de septembre, Michel Onfray se prononce - pour la première fois publiquement, si je n’ai pas raté un épisode - en faveur du mouvement féministe Femen.

Son soutien est vraiment le bienvenu, et une seule phrase - « Les "Femen" sont un espoir car elles ont bien compris qu’un combat féministe qui n’est pas athée constitue une variation supplémentaire sur le thème de la société du spectacle. » - vaut toutes les analyses foireuses désiro-refoulo-freudo-phallocratiques complètement à côté de la plaque que j’ai pu lire ailleurs.

 

Le féminisme de Michel Onfray est parfois critiqué par d'excellentes blogueuses féministes que j'apprécie énormément. Onfray serait un « masculiniste « selon elles. Peut-être... Mais je pense qu’elles se trompent d’ennemi.

 

J’admets cependant que son ton paternaliste et professoral, cette tendance à vouloir dicter aux féministes les sujets et les préoccupations dignes d’intérêt, cette façon de décider à leur place ce qui est bon pour elles - puissent être fort agaçants parfois.  

 

Et puis, comment quelqu’un qui est « travailleur » des mots, qui connaît leur pouvoir, qui est conscient que le langage reflète la structure de la pensée, et que « mal nommer les choses c’est rajouter au malheur du monde », comment peut-il affirmer que les mots ne sont pas si importants dès qu’il s’agit des femmes? Il y a des problèmes plus graves et plus urgents que Mademoiselle, Madame le Ministre et les insultes sexistes, bien sûr! Mais à l’hôpital, les médecins ne refusent pas de soigner la grippe ou la jambe cassée sous prétexte qu’il y a des patients atteints de cancer. Et qui plus est, chacun sa spécialité… Polygamie, excision, violences sexuelles, illettrisme, misère et dépendance économique - tous ces fléaux des banlieues (françaises, pas ukrainiennes!) sont traités quotidiennement, loin des médias, par des milliers de lilliputiennes qu‘elles soient bourges, bobos ou ouvrières.

Mais Michel Onfray a parfaitement raison, tout cela ne cessera d'être que du rafistolage et un travail de Sisyphe aussi longtemps que les femmes rendront un culte au Mâle Suprême des trois monothéismes, mâle qui ne les aime pas à défaut d’exister …

       


 

DIEU N’AIME PAS LES FEMMES 

 

femen-moral-mosqué

 

Petit déjeuner dans un hôtel, « Le Figaro » coincé entre le beurre et le miel sur le plateau. J’y lis que le ministre des droits de la femme trouve que l’école perpétue le sexisme et qu’il s’agit de prendre des mesures pour en finir avec cette terrible injustice. D’accord… Un syndicat propose qu’on lise en classes primaires Papa porte une robe, soit… Le livre raconte l’histoire d’un père boxeur qui devient danseur en tutu… Politiquement correct, mais franchement ridicule… 

On n’envoie plus, et c’est heureux, les homosexuels au bûcher, aujourd’hui, ils se marient et s’embrassent à pleine bouche dans le journal de TF1, déjà ils peuvent adopter des enfants, bientôt ils auront recours à la Procréation Médicalement Assistée remboursée par la sécurité sociale. On ne cloue plus les transsexuels au pilori, et c’est tant mieux : Libération se réjouit d’en faire des portraits pleine page (et se donne ainsi l’impression d’être encore un journal de gauche) pendant que Mireille Dumas les invite dans une émission qui leur permet de raconter la difficulté qu’il y eut à être si longtemps en catimini Kévin, chauffeur routier le jour, et Jeannine, transsexuelle la nuit. On ne brûle plus les bisexuels qui permettent au même journal et à la même présentatrice télé de varier les plaisirs et de portraiturer ou d’inviter le lendemain du trans un bi qui racontera les aventures de Kévin & Jeannine en même temps.

Cette liberté sexuelle héritée de Mai 68 est heureuse, prenons acte de cette évidence : la marge n’est plus là, la subversion est ailleurs, le minoritaire sociologique est devenu le majoritaire idéologique.

Il me semblerait plus marginal et subversif de dénoncer les trois religions monothéistes qui me paraissent bien plus dommageables pour l’égalité entre les hommes et les femmes qu’un manuel scolaire dans lequel le petit garçon porte un pantalon et la petite fille une jupe. Que le masculin l’emporte grammaticalement sur le féminin ou que l’on dise madame le ministre constituent moins un scandale à mes yeux que ce que professent le judaïsme, le christianisme et l’islam sur les femmes – impures par nature, ontologiquement pécheresses, inférieures aux hommes.

humour femen au nom de péreJe propose à Madame le ministre des droits de la femme que, dans les écoles primaires, on étudie bien plutôt Yahvé, Dieu et Mahomet ne veulent pas que papa porte une robe (éditions LGBT). Gageons que Libération crierait à l’antisémitisme et à l’islamophobie, mais se réjouirait de la charge antichrétienne, puis que Mireille Dumas marcherait sur des œufs, mais inviterait quand même un curé en soutane pour le soumettre à la douce torture de ses questions. 

Les révolutionnaires de 89, les Communards, les laïcards et les anticléricaux du Front Populaire, les Soixante-Huitards ont travaillé pour rien en souhaitant une république égalitaire, libertaire, fraternelle, laïque, féministe. La mode est à la revendication communautaire, à la requête tribale, à la pétition clanique.

Si l’on veut une véritable égalité homme femme, on ne se contentera pas de jouer sur l’emballage en variant les effets de surface. Les « Femen » sont un espoir car elles ont bien compris qu’un combat féministe qui n’est pas athée constitue une variation supplémentaire sur le thème de la société du spectacle.

 

Michel Onfray    

 


 

 

 

En supplément, je vous propose ce sketch, juste pour l’humour et le talent de Constance et pour la beauté de son aspirateur, avec un soupçon d’impudeur, une pincée de ressentiment et une goutte de soif de vengeance. Que Mâle Suprême soit loué!

 

 

… bien assaisonné, Il sera prêt à être sacrifié sur l’autel du banquet …. ;~)


Merci à Patrick

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19 février 2013 2 19 /02 /février /2013 21:17

 

onfray contre-histoire 9

Ingrid Galster, ancienne professeure de littératures romanes à l’Université de Paderborn en Allemagne, a publié aujourd’hui un article sur Le Huffington Post intitulé « Beauvoir : les pillages et les déformations de Michel Onfray ».

Bien que je ne partage pas ses points de vue exprimés dans l’introduction et surtout dans la conclusion de cet article, bien que son ton indigné et scandalisé m’ennuie, et bien que ses leçons données aux éditions Grasset et à France Culture concernant leur ligne éditoriale soient ridicules et teintées d’intolérance - je trouve sa critique d’un extrait du dernier tome de la Contre-histoire de la philosophie, Les consciences réfractaires de Michel Onfray et son argumentaire très intéressants. Selon Ingrid Galster, Michel Onfray s’était servi de son livre sur Simone de Beauvoir, faisant dire à l’auteure ce qu’elle n’a pas dit, déformant ses propos pour qu’ils correspondent à ses propres thèses établies bien à l’avance. Humain, trop humain…

 ___________________________


Certains intellectuels affirment, non sans raison, qu'en critiquant Michel Onfray on fait encore sa publicité et le conforte dans le rôle qu'il s'est choisi: celui du démystificateur solitaire persécuté par la cohorte des faussaires de l'histoire.

 

Mais doit-on se taire quand on est directement concerné par les pillages et les déformations délibérées qu'il attribue aux autres? Voici l'honneur douteux dont je suis l'objet dans le t. 9 de sa "Contre-histoire de la philosophie" récemment paru. Il se réfère à un ouvrage que j'ai publié en 2007 chez Tallandier : Beauvoir dans tous ses états. beavoir dans tous ses états galster

"Le livre d'Ingrid Galster aborde les questions qui fâchent. Ses conclusions relèvent de l'histoire et font s'effondrer une partie de la légende : Sartre et Beauvoir ne constituaient pas un couple modèle, elle ne fut pas la résistante qu'elle dit, elle est évincée de l'Éducation nationale pour lesbianisme avec une élève et non pour fait de résistance, elle travaille à Radio Vichy, elle n'a moins fait le féminisme qu'elle n'a été faite par lui, les publications posthumes ont écorné l'image pieuse fabriquée par le couple, etc." (pp. 441-442)

Spécialiste de Sartre pour l'époque de l'Occupation et sous contrat chez un grand éditeur parisien pour une nouvelle biographie de Beauvoir que je n'ai finalement pas faite, j'ai creusé certains éléments de la vie et de l'oeuvre en les replaçant dans leurs contextes respectifs et en tenant compte de nouveaux documents apparus après la mort de Sartre et de Beauvoir. Il en est sorti parfois une image plus nuancée, plus complexe et plus étoffée que celle que l'on trouve dans l'autobiographie de Beauvoir, mais j'ai toujours pesé le pour et le contre et mes conclusions ne se réduisent aucunement à la version caricaturale qu'en donne Onfray.

beauvoir radio micro

Très souvent, il enfonce d'ailleurs des portes ouvertes. Quelle trouvaille, par exemple, que celle de Radio-Vichy puisque Beauvoir en parle elle-même dans La Force de l'âge ! Mon seul mérite était d'avoir déniché une partie des scénarios qu'elle a fournis à cette radio. J'explique aussi pourquoi elle a accepté ce travail et, là, Onfray s'exécute clairement en falsificateur pour faire correspondre l'histoire à ses propos paranoïaques.

 

 

En effet, je prouve précisément, documents à l'appui, que Beauvoir n'était pas "évincée de l'Education nationale pour lesbianisme avec une élève". 

simone-de-beauvoir-nueIl est vrai que la mère de son ancienne élève Nathalie Sorokine a porté plainte, en décembre 1941, contre Beauvoir pour incitation de mineure à la débauche (je reproduis le texte intégral de la plainte dans le livre en question). Mais l'enquête judiciaire qui s'ensuivit aboutit à un non-lieu et ne pouvait donc justifier l'exclusion de Beauvoir de la fonction publique. 

En revanche, le recteur de l'Académie de Paris fit valoir face à Abel Bonnard que Beauvoir faisait lire à ses élèves Proust et Gide considérés par l'État de Vichy - faut-il le rappeler ? - comme mauvais maîtres pour "l'esprit de jouissance" émanant de leurs oeuvres qui, pensait-on, avait mené la France à la débâcle. On allégua qu'elle leur recommandait des visites à l'hôpital psychiatrique Saint-Anne, donc qu'elle les poussait à s'intéresser aux forces instinctives et à la démence, ce qui allait dans le même sens. On souligna ses conditions de vie : célibataire, elle n'avait pas de foyer, dormait à l'hôtel, travaillait au café et vivait en concubinage notoire. Bref, conclut le recteur qui, à la Libération, fut inculpé pour son zèle pétainiste : maintenir Beauvoir (et Sartre, qui ne fut pas inquiété) dans l'Enseignement secondaire, "à l'heure où la France aspire à la restauration de ses valeurs morales et familiales", était "inadmissible", et cela d'autant plus que, professeur de khâgne au lycée Camille-Sée, elle formait de futures éducatrices. Contrairement aux propos qu'Onfray m'attribue, l'exclusion de Beauvoir était une mesure d'épuration de la part de Vichy. Je le dis haut et fort dans mon livre en mentionnant la loi du 17 juillet 1940 créée par le gouvernement de Pétain pour faciliter l'élimination du service public de tous les fonctionnaires censés ne pas contribuer efficacement à la "rénovation nationale", loi qui est citée, entre autres, dans l'arrêté du 17 juin 1943 sanctionnant la révocation de Beauvoir. Relevée de ses fonctions pour un délit de moeurs, elle n'aurait d'ailleurs pas pu se faire réintégrer à la Libération, ce qui fut pourtant le cas. Beauvoir méprise délibérément les consignes de la Révolution Nationale. "Résistance" est un grand mot, mais c'était sans conteste une forme d'opposition, perçue, on l'a vu, comme telle par les autorités.

 

Elle n'a moins fait le féminisme qu'elle n'a été faite par lui, dirais-je encore, selon Onfray. Là aussi, il m'attribue une thèse que je n'ai pas soutenue. En travaillant sur Le Deuxième Sex  beauvoirle-deuxieme-sex-anglais.jpgpour préparer un colloque à l'occasion du cinquantième anniversaire du livre en 1999 ainsi que sur l'histoire du féminisme français, j'ai découvert une sorte de navette de la théorie féministe entre la France et les États-Unis en cinq temps entre 1947 et 2000, navette dont se trouve une ébauche dans mon livre et qui constitue, selon Michelle Perrot, "un véritable chapitre de l'histoire intellectuelle à développer".

Je soutiens, entre autres, que la plupart des féministes françaises des années 70 n'avaient pas lu Le Deuxième Sexe, propos d'ailleurs confirmé par Beauvoir elle-même qui militait avec elles: ces militantes étaient plutôt influencées par le féminisme nordaméricain qui était en avance, mais dont les protagonistes les plus en vue (Betty Friedan, Kate Millett) s'étaient inspirées, elles, du livre de Beauvoir, sans le signaler. Une fois établi en France, le féminisme a revendiqué Le Deuxième Sexe comme livre fondateur, comme bible. Il s'agit, comme souvent, de processus de réception et d'influences réciproques dont la dynamique compliquée n'intéresse pas Onfray mais dans lesquels il cherche exclusivement des éléments qu'il peut détourner pour son oeuvre "démystificatrice".

 

sartre gerassi 3Pour mener à bien cette oeuvre, il se sert, dans le cas de Beauvoir et de Sartre, le plus souvent des livres de Gilbert Joseph et de John Gerassi. Le premier a le mérite d'avoir découvert le dossier de l'affaire Sorokine aux archives de la Préfecture de Police, mais, historien amateur et ancien résistant du Vercors plein de ressentiment contre les intellectuels à l'égal d'Onfray, il est incapable d'interpréter les sources dans le contexte de Vichy: on a dit à juste titre qu'il adopte l'optique de la police des moeurs. Le second rend prétendument ses conversations avec Sartre en état brut. Quelle aubaine pour attraper Sartre en flagrant délit: il montre enfin son vrai visage! En comparant le texte publié avec les CD se trouvant à l'Université de Yale, on voit pourtant que les répliques de Sartre ne lui appartiennent pas, mais que c'est Gerassi qui les formule. J'ai eu l'occasion de le montrer dans la Neue Zürcher Zeitung et dans une revue historique espagnole, mais la publication de mon compte rendu en français est repoussée depuis un an par une revue parisienne.

 

Vu de l'étranger, on se demande bien quels sont les besoins de certains secteurs de la société française qui sont assouvis tous les ans à nouveau avec les produits de ce "philosophe" dans toutes les formes médiatiques, produits qui pullulent du reste d'erreurs factuelles. Le vrai scandale, c'est que Grasset publie cette charlatanerie, que des journalistes comme F.-O. Giesbert la défendent et que France Culture se prête à la diffuser tous les étés.

 Ingrid Galster    

 

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  • Le blog de 4 amis réunis autour de la philosophie de Michel Onfray qui discutaient de la philosophie, littérature, art, politique, sexe, gastronomie et de la vie. Le blog a élargi son profil depuis avril 2012, et il est administré par Ewa et Marc
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