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29 décembre 2017 5 29 /12 /décembre /2017 12:13

 

 

Intéressante critique des thèses masculinistes de Michel Onfray  - par Isabelle Alonso.

 

"Il fut un temps où j’estimais Michel Onfray. Sur ce même site, en février 2005, sous le titre « promo blues » je criai mon enthousiasme pour son « Traité d’athéologie ». Depuis, j’avoue que sa capacité à chanter l’hédonisme en affichant la tronche impavide d’un pasteur luthérien m’avait ouvert une fenêtre moins limpide sur son inconscient. Il vient de franchir une nouvelle étape. Son papier intitulé « Machiavel gynécologue » dans le n°43 de Siné-hebdo le fait plonger profond dans ces abysses où l’estime devient consternation. Voilà qu’il apporte son obole au backlash machiste qui sévit en ce moment dans les média. 

Onfray nous sert une nouvelle définition du viol. Carrément. Au passage, il règle son compte à la question : « …il est terminé le temps où on pensait qu’une femme violentée avait un peu aguiché le violeur… ». Ah bon ? Sait-il, Onfray, que seul un viol sur cent est jugé ? Que la plupart du temps il est décriminalisé et passe en correctionnelle sous l’appellation « violences volontaires » ? Que le viol reste aujourd’hui, en France, un crime très largement impuni ? Qu’il joue à fond son rôle de premier moyen d’intimidation collective par la violence, avec pour fonction de contraindre les femmes à rester à leur place assignée ?

Non, il le sait pas. Ou il s’en fout. Pour lui, cette question est résolue. On passe à autre chose. Il est temps de progresser dans nos analyses et nos mobilisations, que diable ! Il poursuit sa démo : « Désormais, il faudrait faire un effort pour établir une égalité sur ce terrain là ». Faudrait pas que les nanas se mettent à croire qu’elles sont les seules à en chier, on va leur en remontrer ! Égalité ? Sur le terrain du viol ? Ça veut dire quoi ? A vrai dire pas grand chose. Et même rien. Mais suivons-le dans ses méandres. Ça signifie, peut-on supposer, réciprocité, symétrie. Et donc établissement d’un fait de viol des hommes par les femmes. Franchement, celle là, fallait la faire !

Pour appréhender le viol dans toute sa dimension, il faut le rattacher à son rôle dans le maintien de la domination masculine. Pour comprendre sa capacité de destruction il faut savoir que cette pénétration du corps par la violence signifie la négation de la personne. Il faut également considérer que les viols sont extrêmement fréquents, bien au-delà de ce que disent les statistiques. Il faut aussi avoir conscience que cette pratique est profondément enracinée dans notre culture et que son impunité enferme la victime dans un sentiment d’impuissance totale. Alors pour établir un parallèle, il faudrait un contexte de domination féminine, un acte hyper-violent et hyper-fréquent et la clémence pour l’agresseur.


 

masculinisme_paternité_imposée_onfray

Michel Onfray a trouvé ! Il définit par le mot « viol » un crime atroce, qu’il qualifie aussi de « barbarie », allons-y gaiement, et qu’il place en position symétrique, façon presse-livre, vis-à-vis du viol tel qu’il est défini par la loi. Il s’agit d’une femme imposant ( ?) à un homme un rapport sexuel « certes librement consenti » mais « infligé ( !) dans la perspective dissimulée d’une procréation » ! En d’autres termes, il qualifie de « viol » le comportement d’une femme faisant un enfant dans le dos à un homme. Disons le tout net, un tel comportement, consistant à laisser entendre, voire à affirmer, qu’on est contraceptée alors qu’on ne l’est pas, allie mensonge, trahison et dissimulation. Certes. Il peut signifier bien des emmerdements pour l’homme en question. Admettons. Endosser une paternité non désirée est déplaisant. Oui. Mais un viol ? S’il fallait comparer cette expérience masculine à une expérience féminine équivalente au moyen d’un retournement de situation, puisque c’est ainsi que semble s’organiser la pensée Onfrayenne, on ne peut la mettre en parallèle qu’avec une maternité non désirée.

Pendant des siècles les filles ont subi le fameux enfant dans le dos. Parfois après un viol (un vrai) et parfois pas, mais dans les deux cas elles assumaient seules toutes les conséquences de ce qui avait été fait à deux, et ceci signifiait leur mort sociale. Aujourd’hui, la moitié des enfants naissent hors mariage, et entre avortement légal et test ADN, les données de la question ont été bouleversées. Les hommes d’aujourd’hui doivent faire face à des questions auxquelles leurs aïeux ont échappé depuis toujours. Ils baisaient impunément, et c’est terminé. Les femmes sont en position de leur imposer quelque chose et historiquement c’est inédit. Que cela soit douloureux après des millénaires de totale irresponsabilité n’a rien de surprenant.

 

contraception masculine

Mais ça n’a rien de tragique. Toute femme apprend à contrôler sa fécondité dès l’adolescence. C’est pas forcément marrant, mais c’est comme ça. Il n’a jamais été question pour une fille, à moins qu’elle soit très ignorante, de se fier aveuglément à un partenaire qui affirmerait : fais moi confiance, il n’arrivera rien de fâcheux. Elle prend ses propres mesures dès l’âge le plus tendre. Parce qu’elle sait que les conséquences peuvent être pénibles pour son corps et pour son esprit. Les hommes adultes, ces grands garçons, peuvent-ils désormais envisager d’assumer leur sexualité dans tous ses dimensions ? De contrôler leur propre fécondité ? Pour se préserver des grossesses non désirées, il va falloir s’y mettre, les gars ! Bienvenue au club ! Contrairement à nous les femmes, qui avons dû nous battre pour arracher les lois et n’avons jamais disposé du pouvoir nécessaire à influer sur la recherche, nul dispositif légal ne s’oppose à ce que les hommes exigent la mise au point de contraceptifs adaptés au masculin au lieu d’attendre benoîtement que les femmes s’aménagent d’elles-mêmes pour le grand confort général. Les hommes vont devoir mettre sur pied des nouvelles stratégies et s’intéresser à la contraception sous un autre angle, pour se protéger eux-mêmes. Gageons que ceci va leur faire comprendre deux ou trois choses laissées jusqu’à présent sous l’ombre propice des « problèmes de femme ».

 

Onfray ose employer le mot « barbarie ». Il chie pas la honte, le philosophe ! Les pères-contre-leur-gré peuvent avoir été trompés. Même dans ce cas, les conséquences ne seront jamais tragiques comme peuvent l’être celles d’un viol. Nous savons qu’une égratignure sur le corps d’un dominant est perçue comme infiniment plus grave qu’une amputation sur celui d’un dominé, mais qu’Onfray aille jusqu’à qualifier de viol un acte qui pour aussi moralement répréhensible qu’il soit n’entraîne comme conséquence que la naissance d’un enfant et la prise en charge (partielle et partagée) de son existence montre à quel point sa démarche est purement idéologique. D’un mépris abyssal pour les millions de vraies victimes de vrais viols. Et laissant affleurer une étrange vision de la venue au monde d’un bébé.

Il n’y a aucun rapport entre une paternité imposée et le viol. Le viol est un mécanisme social de contrôle du corps des femmes par les hommes qui dépasse les personnes impliquées directement. Il joue, au moyen de la violence la plus brutale, le premier rôle dans la persistance du statu quo entre sexes que les progrès de ces dernières décennies n’ont affecté qu’en superficie. D’innombrables attaques du même type que celle d’Onfray égratignent en permanence la légitimité des analyses féministes. Tant que nous aurons dans ce pays les disparités, les injustices et les violences qui sont notre quotidien, la gymnastique conceptuelle d’Onfray et ses puantes contorsions apparaîtront pour ce qu’elles sont : un pathétique grignotage idéologique des quelques avancées que le féminisme a réussi à imposer. A quoi, à qui pensait-il en écrivant ces lignes ? J’écris moi-même celles-ci très peu de temps après l’affaire Cheb Mami, qui s’est dit piégé par la mère de son enfant et qui a réagi comme on sait."

 

Isabelle Alonso, 2009 

 

Pour aller plus loin :       

Les paternités imposées, l'invention d'un faux problème.  Analyse féministe d'un discours masculiniste. 

Rapport(s). Pour la responsabilisation des hommes dans la prise en charge des risques et conséquences de leurs sexualités 

Contre le masculinisme. Petit guide d'autodéfense intellectuelle 

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25 avril 2015 6 25 /04 /avril /2015 16:25

 

 

Chronique mensuelle de Michel Onfray publiée en août 2009 sur son site officiel.
 

 

     

 

Dans la salle d’attente d’un hôpital, j’avise un vieux tas de revues crasseuses et
probablement couvertes de microbes. J’en ouvre une pour jouer au jeu du : « que reste-t-il de valable dans un journal après la date de péremption ? ». Voilà donc un
« Marianne » de 2007 et… trois pages consacrées à Lucien Jerphagnon, le vieux maître de mes dix-sept ans ! La journaliste
(aujourd’hui passée au Figaro …) consacre un paragraphe à la relation que j’entretenais avec lui et, le créditant de « délicatesse » (!), explique que nous ne nous écrivons plus parce qu’il fut le maître d’œuvre de l’édition de saint Augustin en Pléiade et que, pour moi, l’athée au couteau entre les dents, c’en était trop : « Qu’il fut croyant ? Méprisable, inacceptable. Il n’eut plus de nouvelles que par les plateaux de télévision où l’élève a élu résidence ».

Faut-il être crétin pour imaginer que j’ai découvert le christianisme de Jerphagnon avec son travail pour la Pléiade - travail qui lui échoit par un heureux jeu de chaises musicales, les deux premiers responsables de l’édition ayant cassé leur pipe en route, il fut promu par défaut…
Parmi les cinq étudiants qu’il avait chaque année, nul n’ignorait, en 1976, la bibliographie du Monsieur qui comportait alors plus de bondieuseries et de guimauves chrétiennes mâtinées de caractérologie que de livres parus chez Gallimard… A l’époque, il publiait surtout aux éditions du Vitrail (sic !).


C’était aussi le moment où, drapé dans sa toge, il jouait au philosophe romain  – et je dois dire qu’il avait un talent fou pour ce rôle à contre-emploi. Ce vrai prof, faux philosophe, (à l’époque je croyais l’inverse ce à quoi il nous invitait avec tellement de persuasion…), vomissait sur Alain Renaut et Luc Ferry, alors enseignants à Caen. Mais c’était bien avant un livre signé en collaboration avec ce dernier, en 2009, un ouvrage dans lequel presque chaque page fait l’éloge du christianisme et de l’ancien Ministre de Raffarin…
Ce n’est pas le vieux christianisme de Jerphagnon qui a été la cause de mon éloignement mais
le grand écart que j’ai pu constater entre la posture du « philosophe » romain et la petitesse du professeur aigri, vaniteux, orgueilleux, jaloux, envieux – j’ai dix anecdotes pour justifier chacune de ces épithètes… Je découvre aujourd’hui le menteur

J’ai avalé nombre de couleuvres et garderai le détail de ce mauvais festin par fidélité à
ce qu’il fut. Juste une chose : comment explique-t-il que j’aurais prétendument rompu à cause de son Augustin en Pléiade (en 1998) alors qu’
il m’a demandé de le pistonner chez Grasset (en 2004) pour un livre refusé par le comité de lecture 
? Sa femme qui m’a envoyé une lettre d’excuse pour la dernière couleuvre que je refusais d’avaler connaît la date de mon ultime courrier, il n’a qu’à lui demander, rien à voir avec Augustin.

Au temps de sa splendeur, il m’avait dit : « Onfray, je compte sur vous pour
m’éviter le livre en trop. Je n’ai pas envie d’écrire sous moi ».
Quand l’heure fut venue d’écrire sous lui, il avait pris soin de me congédier depuis longtemps. La parution du Traité d’athéologie en 2005, et surtout son succès, a été la goutte d’eau qui a fait déborder sa vase. Je ne lui reproche pas son christianisme, mais d’être si peu chrétien. Cet homme n’a jamais su aimer personne d’autre que lui. Je le plains…"
 

Michel Onfray       

 

    

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19 janvier 2015 1 19 /01 /janvier /2015 00:24

 

 

Le papier du Point signé Michel Onfray, publié le 10 janvier 2015, où le philosophe réagit à l’attentat des terroristes islamistes perpétré le 7 janvier contre la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo et des policiers.

 

« Mercredi 7 janvier 2015, notre 11 Septembre »

  

charlie-hebdo-notre-11-septembre-roussel.jpg

 

Il est 11 h 50 ce mercredi 7 janvier 2015 quand arrive sur l'écran de mon portable cette information qu'une fusillade a lieu dans les locaux de Charlie Hebdo. Je n'en sais pas plus, mais que des tirs nourris aient lieu dans la rédaction d'un journal est de toute façon une catastrophe annoncée.

Au fur et à mesure, j'apprends avec consternation l'étendue des dégâts ! Cabu, Charb, Wolinski, Tignous, Bernard Maris... On annonce dix morts, dont deux policiers, des blessés en nombre, "une boucherie", est-il dit... À 12 h 50, j'ai tweeté "Mercredi 7 janvier 2015 : notre 11 Septembre", car je crois en effet qu'il y aura un avant et un après. Les choses ne font que commencer. 

Charlie Hebdo est, avec Siné Hebdo ou Le Canard enchaîné, l'honneur de la presse : car un journal satirique, et il m'arrive d'en faire régulièrement les frais, n'épargne rien ni personne, et c'est tant mieux. religion jumeaux monothéistesIls ne roulent pour aucun parti, aucune école, aucune chapelle : au sens étymologique, ils sont libertaires. Sur les religions en général, et l'islam en particulier, cette presse dit tout haut avec humour, ironie ou cynisme, ce que beaucoup pensent tout bas. La satire lui permet de dire ce que le politiquement correct de notre époque interdit de faire savoir. En ouvrant les pages du journal, on pouvait se lâcher et rire d'autant plus joyeusement que, sur les questions de religion, dans le restant de la presse, on peut crucifier le chrétien, c'est même plutôt bien porté, mais il faut épargner les rabbins et les imams. À Charlie, la soutane, la kippa et la burka sont également moquées - faudra-t-il écrire "étaient" ?

 

L'Élysée invite à dépolitiser les attentats

 

Rivé devant ma télévision, sidéré, je prends des notes. J'assiste à un raccourci de ce qui fait notre époque : avant 13 heures, un journaliste égyptien parle à i>Télé, il précise avec fermeté qu'on va encore mettre tout cela sur le dos des musulmans ! Même à cette heure, l'attentat ayant lieu à Charlie, le journal qui a publié les "caricatures" de Mahomet et qui est menacé pour cela depuis des années, je vois mal comment on pourrait incriminer Raël ou les véganes ! Mais déjà pointe l'insulte islamophobe contre quiconque va affirmer que le réel a eu lieu !

Les éléments de langage probablement fournis par les communicants de l'Élysée invitent à dépolitiser les attentats qui ont eu lieu avant Noël : des fous, des déséquilibrés, des dépressifs fortement alcoolisés au charlie hebdo 2011moment des faits. Même s'ils crient "Allah Akbar" avant d'égorger un policier, ça n'a rien à voir avec l'islam. Les familles des tueurs en rajoutent en protestant de la gentillesse de leur fiston criminel et l'on passe en boucle leur témoignage. Qui dit vrai ? Ainsi, pour prendre un exemple, Rue 89 parle de "l'attaque présentée [sic] comme terroriste [re-sic]" à Joué-lès-Tours... Dormez bonnes gens. Circulez, il n'y a rien à voir...

I>Télé, 13 h 20. Une journaliste nous dit que François Hollande a précipitamment quitté l'Élysée et qu'on l'a vu "dévaler les escaliers en compagnie de son conseiller en communication" ! Je me frotte les yeux. Non, pas le ministre de l'Intérieur ou le chef d'état-major des armées, non, mais Gaspard Gantzer - son conseiller en communication ! Hollande arrive sur place, il enfile des perles de rhétorique. Il repart. Dans la voiture, probable débriefing avec le conseiller en communication. 

La dépêche de l'AFP tombe : l'un des tueurs a crié "Nous avons vengé le Prophète." Plus tard, une vidéo passe en boucle et on entend très bien cette phrase. Le journaliste égyptien n'est plus là pour nous dire que ça n'a rien à voir avec l'islam, mais c'est ce que diront nombre d'autres personnes qui se succèdent à l'écran.

 

Chalghoumi, l'imam tout terrain

 

C'est d'ailleurs très exactement le propos de l'imam de Drancy, Hassen Chalghoumi. Pas un journaliste pour rappeler qu'en septembre 2012, lors de la parution des caricatures dans Charlie, ce fameux imam tout terrain et judicieusement judéo-compatible avait trouvé l'attitude du journal "irresponsable"... Le même Hassen Chalghoumi se fend d'un : "Nous sommes les premières [sic] victimes" sur LCI à 14 h 17. En effet, les musulmans sont les premières victimes et passent avant Cabu, avant Charb, avant Wolinski, avant Tignous, avant Bernard Maris, avant les deux policiers, avant les blessés en nombre... Avant leurs familles, avant leurs enfants, avant leurs amis.

La litanie du "ça n'a rien à voir avec l'islam" continue. Droite et gauche confondues. Avec quoi alors ? Il n'est pas même possible de dire que ça a à voir avec un dévoiement de l'islam, avec une défiguration de l'islam, avec une fausse et mauvaise lecture de l'islam ? Non : rien à voir, on vous dit. C'est comme l'État islamique, qui n'a tellement rien à voir avec l'islam qu'il faut dire Daesh, parole de Fabius. Dès lors, l'État islamique ne massacre pas puisque, comme la théorie du genre, ça n'existe pas ! Daesh, on vous dit. Mais que veut dire Daesh ? C'est l'acronyme d'État islamique en arabe. Abracadabra...

La classe politique continue son show. Sarkozy intervient. Drapeau français, drapeau européen, fond bleu, nul sigle UMP : il se croit toujours président de la République ! Il invite à "éviter les amalgames", mais il ne dit pas avec quoi ! Malin...

 

Pourquoi laisser le monopole au FN ?

 

14 h 21 sur LCI, Mélenchon intervient : "Le nom des meurtriers est connu : lâches, assassins !" Tudieu, quel talent pour éviter... les amalgames ! Sarkozy verbigère : les criminels seront poursuivis, châtiés avec une extrême sévérité, il parle de fermeté absolue, de barbarie terroriste, de violence aveugle, il invite à ne pas céder. Les éléments de langage de tout politique qui n'a rien à dire et donne dans le compassionnel - c'est bon pour la cote, dirait le conseiller en communication. Et puis, toujours la cote de popularité, on invite à l'unité nationale ! Bayrou, Julien Dray, etc., tous entonnent le même psaume. 

LCI, 15 h 5, Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d'Europe Écologie-Les Verts, invite à... éviter l'amalgame. Mais on ne sait toujours pas avec quoi. Elle déplore l'absence de débats et déplore plus encore ceux qui veulent un débat pour savoir ce qu'il en est de l'amalgame ! Ça sent le coup de pied de l'âne à Zemmour ou Finkielkraut ! Le Parti socialiste dispose d'une riposte à la mesure de la boucherie : "une marche des républicains" ! En effet, c'est une réponse politique à la hauteur des événements. Gageons que le président de la République, qui doit parler à 20 heures, volera dans la même stratosphère politique.

Un bandeau défile en bas de mon écran : Marine Le Pen dénonce "un attentat terroriste commis par des fondamentalistes islamistes". Pourquoi une fois de plus le personnel politique, suicidaire, lui laisse-t-il le monopole des mots justes sur des situations que tout le monde comprend ? C'est en effet "un attentat terroriste" et il a été effectivement perpétré "par des fondamentalistes islamistes". Quiconque le dira désormais va passer pour un lepéniste ! Le musulman qui n'est pas fondamentaliste se trouve ainsi épargné, et c'est très bien ; on dit donc en quoi ça a à voir avec l'islam parce que ça en est la version radicale et armée, brutale et littérale ; on laisse entendre qu'il faut lutter contre cette formule-là et rassembler tous ceux qui sont contre, y compris les musulmans ; et on dit d'un attentat terroriste que c'est un attentat terroriste. Le succès de Marine Le Pen vient beaucoup du fait que, mis à part son programme, dont je ne parle pas ici, elle est en matière de constats l'une des rares à dire que le réel a bien eu lieu. Hélas, j'aimerais que cette clarté sémantique soit aussi, et surtout, la richesse de la gauche.

 

Hollande joue son nom dans l'Histoire

 

Les commentaires tournent en boucle. Mêmes images, mêmes mots, mêmes derviches tourneurs. Pas d'amalgames, ça n'a rien à voir avec l'islam, actes barbares... Des manifestations s'annoncent dans toute la France. Je suis sollicité par des journalistes français, télés et radios, je suis en province, pas question d'aller à Paris. Entretiens avec deux journalistes italiens, demande de Skype avec le Danemark, calage d'un direct avec la Suisse pour une heure de direct le lendemain matin à 7 heures. La France regarde le monde : est-ce que Hollande va annoncer quelque chose qui soit à la hauteur ? 

Les rues sont remplies. Besancenot est à la télévision. "Pas d'amalgames ou de récupération politicienne", dit-il. Mais aussi : "Rien à voir avec une quelconque idée religieuse." Comme les autres hommes politiques. Les foules se constituent. 

Sous mes fenêtres, à Caen, un immense ruban silencieux, immense, immense. Une foule considérable et silencieuse. Je suis au téléphone avec une journaliste de La Repubblica. Je regrette. J'aurais voulu être charlie hollandeen bas, avec eux, dans la foule, anonyme, silencieuse et digne. Mais je m'imagine plus utile à répondre autant que faire se peut aux sollicitations qui ne cessent d'arriver par téléphone.

Je rêve un peu : j'imagine que Hollande va trouver dans cette épreuve terrible pour le pays matière à renverser son quinquennat en prenant des décisions majeures. Il en a le devoir, il en aurait le droit, il lui en faudrait l'audace, le courage. Il joue ce soir son nom dans l'Histoire. 

20 heures. Il annonce : journée de deuil national et drapeaux en berne, réunions avec les deux représentants des deux assemblées et les chefs de parti, minute de silence dans les administrations, et une phrase que personne ne sculptera dans le marbre : "Rassemblons-nous !"

Je pense au cadavre de Cabu, au cadavre de Charb, au cadavre de Wolinski, au cadavre de Tignous, au cadavre de Bernard Maris... À leurs cadavres ! À celui du policier abattu d'une balle dans la tête. À celui qui assurait la garde rapprochée de Charb. À l'agent de maintenance. Aux blessés entre la vie et la mort à l'hôpital. Je ne parviens pas à y croire.

 

Tuer plus encore et mourir au combat

 

Il y aura un avant et un après mercredi 7 janvier 2015. D'abord parce que ceux qui ont tué sont aguerris : l'opération commando a été redoutablement exécutée. Repérage, arrivée, méthode, interrogation sur les identités des journalistes, abattage, carnage, repli, couverture de l'un par l'autre, tir sur des policiers, l'un d'entre eux est à terre, les tueurs s'approchent, l'un tire une balle dans la tête, l'autre couvre le tireur, retour à la voiture, tranquillement, l'un d'entre eux prend une basket tombée à terre et la remet dans le véhicule, ils repartent, même pas sur les chapeaux de roue. Le policier de la BAC est mort ; il gagnait moins de 2 000 euros par mois ; il s'appelait Ahmed - lui aurait pu dire pourquoi ça n'a rien à voir. Cabu et les autres gisent dans leur sang. "On a vengé le Prophète", dit l'un des tueurs... Il ajoute : "On a tué Charlie." Puis ils se perdent dans la nature... 

charlie paradis mortsCes hommes sont des soldats, des guerriers : le déroulement de l'opération, sa préparation et son exécution, la façon de tenir leurs armes, leur harnachement de combat avec cagoule et magasin de munitions sur le thorax, le carton du tir groupé effectué avec une kalachnikov sur le pare-brise de la voiture de police, les changements de voiture, la disparition dans la mégapole, tout cela montre des gens qui ont appris le métier de la guerre. 

Dès lors, ils continueront. Il n'est pas dans le genre de ces individus de prendre des vacances et de se fondre dans l'anonymat. Ils veulent tuer plus encore et mourir au combat, puisqu'ils pensent qu'ainsi, djihad oblige et paradis aidant, ils retrouveront le Prophète dans la foulée. Rien à voir avec l'islam, bien sûr.

 

Les régimes islamique menacent l'Occident que depuis que l'Occident les menace

 

Peut-on penser un peu l'événement et se défaire un tant soit peu de l'émotion, du pathos, du compassionnel qui ne mange pas de pain et dans lequel communient les tenants de l'unité nationale ? Il ne suffit pas de crier à la barbarie des tireurs du commando et d'affirmer que ces barbares attaquent notre civilisation pour se croire quittes ! 

Le matin même, aux informations de 7 heures, j'apprenais que la France avait dépêché un sous marin nucléaire dans le golfe persique. Nous sommes en guerre. Et cette guerre a été déclarée après le 11 septembre par le clan des Bush. Hormis l'épisode à saluer de Chirac refusant d'y aller, de Mitterrand à Hollande en passant par Sarkozy, nous avons bombardé des pays musulmans qui ne nous menaçaient pas directement : Irak, Afghanistan, Libye, Mali, aujourd'hui l'Etat Islamique, et ce en faisant un nombre considérable de victimes musulmanes depuis des années. Voit-on où je veux en venir ?


charlie syrie 3charb syrie gosse


Précisons. A qui peut-on faire croire qu'hier le régime des Talibans en Afghanistan, celui de Saddam Hussein en Irak ou de Kadhafi en Libye, aujourd'hui celui des salafistes au Mali ou du califat de l'Etat Islamique menaçaient réellement la France avant que nous ne prenions l'initiative de les attaquer ? Que maintenant, depuis que nous avons pris l'initiative de les bombarder, ils ripostent, c'est, si l'on me permet cette mauvaise formule, de bonne guerre !

Mais l'on confond la cause et la conséquence : les régimes islamique de la planète ne menacent concrètement l'Occident que depuis que l'Occident les menace. Et nous ne les menaçons que depuis que ces régimes aux sous-sols intéressants pour le consumérisme occidental ou aux territoires stratégiquement utiles pour le contrôle de la planète, manifestent leur volonté d'être souverains chez eux. Ils veulent vendre leur pétrole ou les produits de leurs sous-sols à leur prix et autoriser leurs bases à leurs seuls amis, ce qui est parfaitement légitime, le principe de la souveraineté des pays ne souffrant aucune exception.

Si les droits de l'homme étaient la véritable raison des attaques françaises aux côtés, comme par hasard, des Etats-Unis, pourquoi n'attaquerions nous pas les pays qui violent les droits de l'homme et le droit international ? Pourquoi ne pas bombarder la Chine ? Cuba ? L'Arabie Saoudite ? L'Iran ? Le Pakistan ? Le Qatar ? Ou même les Etats-Unis qui exécutent à tour de bras ? Il suffit de lire le rapport d'Amnesty International pour choisir ses cibles, elles ne manquent pas... 

Les politiques qui n'ont d'idées qu'en fonction de leurs élections ou de leurs réélections n'ont pas pensé la guerre. Ils regardent les crédits de la défense et ils coupent pour faire des économies, mais ils n'ont aucune théorie en rapport avec le nouvel état des lieux. La géostratégie est le cadet de leur souci. 

L'existence de l'URSS légitimait, disons-le ainsi, l'armement nucléaire pour l'équilibre des terreurs.

 

Deux hommes mettent la France à genoux

 

L'ouvrage incontournable en matière de polémologie, De la guerre de Clausewitz, a théorisé les conflits qui relevaient de ce qu'il appelait la Grande Guerre : celle qui oppose deux États, deux nations, deux peuples. Il a également parlé, mais beaucoup moins, de la Petite Guerre : celle qu'on peut aussi appeler la guérilla. 

Ce qui a eu lieu ce mercredi 7 janvier illustre parfaitement que notre État s'évertue à penser contre vents de guérilla et marées terroristes en termes de Grande Guerre : voilà pourquoi le chef de l'État, qui est aussi chef des armées, entre l'annonce du film à venir de Trierweiler et le prochain dîner avec Julie Gayet à soustraire charlie -luz-hollandeau regard des paparazzis, a décidé d'envoyer porte-avions et sous-marins en direction de la Syrie. Pour quoi faire dans un conflit fait de combats dans les rues ? 

Pendant ce temps, emblématiques de la Petite Guerre, trois hommes peuvent, avec chacun une kalachnikov et un lot de trois voitures volées, décapiter un journal, mettre la France à genoux, montrer notre pays saigné à la planète entière, décimer le génie du dessin satirique français et n'obtenir pour toute réponse du chef de l'État qu'un : "Rassemblons-nous !" Je vois bien ce que nos dessinateurs assassinés auraient fait de cette palinodie d'État. 

Juste après avoir appris cette information du sous-marin envoyé par Hollande dans les eaux non loin d'Israël ou du Liban, France Inter invitait ce mercredi matin dans sa Matinale Michel Houellebecq pour Soumission. Plus personne n'ignore désormais que ce roman se déroule dans une France islamisée après un second mandat de Hollande. Le politiquement correct lui reprochait depuis plusieurs jours d'annoncer une guerre civile, et une humoriste - c'est du moins ce que l'on dit d'elle, une certaine Nicole - a même rioché plusieurs fois avant de dire que la guerre civile annoncée pour dans quinze ans, si elle devait arriver un jour, serait un pur produit de ce roman ! Paf, trois heures plus tard, le roman futuriste de Houellebecq racontait notre présent. Mais c'est lui qui était responsable, bien sûr, de ce qui advenait.

Ce mercredi 7 janvier est un jour qui inaugure une ère nouvelle, hélas ! Quand les trois tueurs tomberont, soit dans leur sang, soit dans un panier à salade, trois autres se lèveront. Et quand ces trois-là tomberont, trois autres à nouveau, etc. Ne nous est-il pas dit que plus de mille soldats revenus du front de l'État islamique sont en état de marche guerrière sur le sol national ? On fait quoi maintenant ? Rappelez-vous l'excellent film de Mathieu Kassovitz, La haine : "Jusqu'ici, tout va bien." Jusqu'au 7 janvier 2015, c'était vrai... Aujourd'hui, plus très sûr...

 

Michel Onfray      

 

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  • quatuor
  • Le blog de 4 amis réunis autour de la philosophie de Michel Onfray qui discutaient de la philosophie, littérature, art, politique, sexe, gastronomie et de la vie. Le blog a élargi son profil depuis avril 2012, et il est administré par Ewa et Marc
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