Du 25 juillet au 26 août 2011, France Culture diffuse les conférences de Michel Onfray données en 2010-2011 dans le cadre de l’UP de Caen :
Contre-histoire de la philosophie - 9e année - Le freudisme hérétique : Otto Gross, Wilhelm Reich et Erich Fromm
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5/ QUESTIONS - REPONSES 1/4 - 29.07.2011
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1) Pierre Hadot a écrit dans Qu’est-ce que la philosophie antique? que les choix de vie devaient être en accord avec les discours. Aujourd’hui, quelle est la relation entre les discours philosophiques et les actions?
La philosophie comme art de mener la vie philosophique, comme art de vivre, de l’action - était pratiquée dans l’Antiquité. Dans cette tradition s’inscrivent aussi Spinoza, Montaigne, Nietzsche.
La philosophie comme art de fabriquer des compliqués discours idéologiques, de la théorie, des paroles - commence avec la conversion de Constantin au 4e siècle et la scolastique. A partir de Kant le philosophe est un professeur de philosophie. Cette conception qui dissocie la vie de la philosophie perdure au 20e siècle (Sartre). Ceux qui ne suivent pas cette tendance ne sont pas nombreux : Albert Camus, Clément Rosset, Robert Misrahi…
Ce sujet était très souvent abordé dans les ouvrages de Michel Onfray. Voilà ce qu’il a écrit dans son dernier livre Manifeste hédoniste : « … elle propose de retrouver le sens de la philosophie antique qui tourne le dos au théorétique, au spéculatif, au théorique pur fabriqué dans les cabinets poussiéreux des bibliothèques, et suppose que ne soit prise en considération que la philosophie pratiquée, incarnée, mise en acte - ce qui a le mérite d’écrémer facilement tous les faiseurs de systèmes, tous les verbeux et tous les vendeurs d’illusions ; elle fait donc de la vie philosophique la mesure de la validité d’une pensée… »
2) Est-ce que l’agriculture moderne intensive qui va à sa perte est liée au patriarcat et au capitalisme, pendant que le model ancien traditionnel extensif est en rapport avec le matriarcat?
Rien ne permet d’affirmer que le début de notre préhistoire était matriarcal ou patriarcal, alors, sans traces ni preuves, nous en sommes réduits à des conjectures. Michel Onfray, s’appuyant sur la théorie de Jean Malaurie, suppose que les catégories actuelles de domination des femmes (matriarcat) ou des hommes (patriarcat) n’existaient probablement pas au début, mais il s’agissait plutôt de l’anarcho-communalisme : dans la horde, on partageait des tâches culturelles "mécaniquement" pour que la communauté puisse survivre, l’individu n’existait pas, la séparation des fonctions homme/femme n’a pas eu encore lieu.
Le symbole de la Terre-mère nourricière est cher à Freud et aux psychanalystes, à des religions et … aux écologistes. Et pourtant, la terre n’est pas notre mère nourricière, elle est constituée de la même matière que nous, nous ne sommes que des poussières d’étoiles (les intuitions des présocratiques, les travaux des astrophysiciens H. Reeves et J-P. Luminet). Dans la préhistoire l’homme n’était pas encore séparé de la nature et du cosmos, mais en faisait partie.
« Croirais-tu que les atomes qui forment ton corps sont nés dans les étoiles? […] Au centre des étoiles il fait très chaud - des millions de degrés - et des réactions nucléaires ont lieu. Elles engendrent de nouveaux atomes qui s’accumulent dans le corps de l’astre. Plus tard, après la mort et le démembrement de chaque étoile, ces atomes errent dans l’espace. Un certain nombre vont se retrouver dans la matière qui constitue notre planète. Ils circulent dans les sols et dans les océans. Et un jour, ils entrent dans les cycles de vie de toutes les espèces. Depuis, ces atomes composent chaque individu et ta nourriture t’en apporte constamment On peut vraiment dire que nous sommes des poussières d’étoiles! En ce sens, les étoiles sont les arrière-grands-mères de tous les vivants au monde. »
Hubert Reeves, L’Univers expliqué à mes petits-enfants
3) En quoi un transfert puisse avoir un rapport avec le capitalisme? A priori, ça ne va pas de soi.
Michel Onfray répond à cette question très partiellement (pour compléter la réponse, voir la conférence et le synopsis 3 et 7) en expliquant la thèse de Gross et Reich sur le passage du matriarcat au patriarcat et au capitalisme. Selon cette thèse, c’est le matriarcat "naturel" et harmonieux qui règne au début de notre préhistoire. Mais la dot (il faut posséder des richesses, constituer un capital, le stocker, enchérir…) est à l’origine du passage au patriarcat et puis au capitalisme, donc de la décadence de la société. La révolution serait l’occasion de finir avec le patriarcat et le capitalisme pour revenir à l’état harmonieux d’avant. Le matriarcat devient alors le but de la révolution.
Onfray ne le dit pas ici, mais on peut ajouter que le transfert et le contre-transfert sont inévitables selon Freud et procèdent d’une "réactivation de pulsion infantile" ; pour Gross le transfert est la "reproduction d’un schéma sociopolitique" et il disparaît dès que la révolution abolit le patriarcat et le capitalisme. D’où ce rapport pas évident entre le transfert et le capitalisme.
4) Pour ne pas dire que le capitalisme se trouve partout, on pourrait peut-être exclure le capitalisme - défini comme mode domestique de production - du nomadisme?
"Nomade/sédentaire" n’est qu’un concept opératoire. Le nomade et le sédentaire ne s’opposent pas mais se complètent. Un nomade est un sédentaire qui bouge. Le nomadisme est ponctuel chez les gens qui se déplacent et leurs trajets sont souvent les mêmes. Les sédentaires sont aussi des nomades en se déplaçant constamment pour travailler, pour partir en vacances…etc.
Le capitalisme est partout, le nomadisme n’y échappe pas. Le nomade possède aussi des richesses avec lesquelles il se déplace. Le capitalisme est polymorphe et indépassable mais toutes les épithètes qu’on attribue au capitalisme sont parfaitement dépassables : le capitalisme libertaire vaut mieux que le capitalisme financier, social est meilleur que libéral…
Michel Onfray parle du capitalisme et de toutes ses formes en répondant aussi à la 3e question, on peut également retrouver les mêmes propos dans Manifeste hédoniste :
« Le capitalisme est aussi vieux que le monde et durera autant que lui : nous ne sommes pas tenus de souscrire à la seule définition marxiste qui confine le mot et la chose dans une fourchette historique, avec date de naissance dans la période industrielle et date de décès prévue le jour de la révolution prolétarienne… Du coquillage sans double qui fait la fortune de son propriétaire pendant la période néolithique à la monnaie virtuelle de l’agent de change de la place boursière new-yorkaise, la rareté fait la loi. Le capitalisme est donc une machinerie indépassable.
En revanche, ce capitalisme se cœfficiente : le capitalisme néolithique n’est pas le capitalisme financier, qui n’est pas le capitalisme antique des Gréco-Romains ni sa formule médiévale, encore moins celui qu’on prend souvent pour le seul, le capitalisme industriel. Le problème est donc moins dans le substantif que dans son épithète : capitalisme, certes, mais quel capitalisme? Capitalisme libéral, non merci. »
Ewa