Un nouvel article de Michel Onfray sur l’élection présidentielle 2012, publié dans
Le Monde le 19.10.2011
« Avec François Hollande, les vaches libérales seront bien gardées »
François Hollande sera donc le candidat dit "socialiste" à l'élection présidentielle. Voilà, nous aurons donc un candidat socialiste et libéral. François Mitterand n'aura pas à se retourner dans sa tombe. François Fillon non plus, lui qui fit savoir il y a peu au Parti socialiste, bel aveu, qu'il espérait résister aux sirènes "gauchistes" d'Arnaud Montebourg. Les vaches libérales seront bien gardées...
Je ne sais si le grand gagnant de cette primaire a été François Hollande, mais ce que je sais, c'est que la perdante a été Martine Aubry. Cette femme qui reprochait à François Hollande d'incarner une "gauche molle" en pensant que ça suffirait à faire d'elle la candidate d'une "gauche dure" n'a trompé personne.
Ces deux-là étaient bien l'avers et le revers d'une même médaille de gauche molle. Voilà pourquoi je ne suis pas allé voter au second tour de la primaire après avoir voté Arnaud Montebourg au premier tour, car il était le seul à porter un programme de gauche.
Contrairement à la première, la seconde consultation n'a pas été une affaire du peuple de gauche, mais une affaire de socialistes - et je n'en suis pas.
Martine Aubry aura donc réussi une belle performance : titulaire du poste de première secrétaire du parti au moment du lancement de la primaire, elle n'a obtenu aucun ralliement des autres candidats, qui se sont tous reportés, de l'aile droite de Manuel Valls à l'aile gauche d'Arnaud Montebourg, en passant par Ségolène Royal, candidate de la "socialitude", et Jean-Michel Baylet, porte-parole des fumeurs de "chichon", sur François Hollande.
Cette femme qui fustigeait la "gauche molle" fut, Le Canard enchaîné nous le rappelle fort opportunément cette semaine, la préfacière d'un livre de l'ex-premier ministre britannique Tony Blair en 1997. Faut-il rappeler que cette gauchiste de choc fait alliance avec le MoDem dans sa ville ; qu'elle a réservé des horaires de piscine aux femmes musulmanes ; qu'elle a passé un pacte dit de Marrakech avec Dominique Strauss-Kahn ; que ce dernier a fait savoir qu'il avait voté pour elle à la primaire et que Bernard-Henri Lévy avait pris parti pour elle ; qu'Alain Minc est son ami, c'est dire combien son gauchisme était à craindre !
Ajoutons à cela que l'hypothèse fort probable d'un bourrage d'urnes pour priver Ségolène Royal de la direction du parti et, ceci expliquant cela, le soutien explicite d'un patron socialiste de ces grosses fédérations qui, avant la primaire, faisaient et défaisaient les rois et reines et s'est trouvé impliqué dans des malversations, ne plaidait pas même pour une gauche morale qui pourrait parfois faire avaler les couleuvres de la gauche libérale...
François Hollande, donc. Avec lui, le cap libéral sera bien gardé. Maastricht, l'Europe du père de Martine Aubry, l'euro, le mépris du peuple souverain qui a dit non à la réforme du traité constitutionnel et auquel on a fait l'affront d'envoyer les professionnels de la politique politicienne du Congrès contre lui comme d'autres envoient la troupe, voilà le passif politique de cet homme dont on dit qu'il n'a rien fait - il eût mieux valu...
Pour son futur - le même Canard nous l'apprend -, François Hollande a déjà rencontré François Bayrou pour évoquer un programme commun de gouvernement après 2012.
Probable futur président de la République, il effectuera la synthèse, son talent le plus avéré, des chefs d'Etat de la Ve République : il aura le même professeur de maintien corporel et de diction que de Gaulle, le même génie politique que George Pompidou, le même accordéon que Valéry Giscard d'Estaing, le même gauchisme que François Mitterrand, la même Corrèze que Jacques Chirac qui, lui, a bien compris le personnage, et le même remariage radieux que Nicolas Sarkozy.
Et le peuple ? La misère ? Le chômage ? La pauvreté ? La laïcité ? La place de l'islam dans la République ? La privatisation de la santé ou de la retraite ? Autant de sujets habilement évités lors des différents débats. Et qui s'en emparera ? On ose à peine rappeler à ces socialistes-là que Marine Le Pen propose de s'en occuper puisque le PS y a renoncé depuis 1983 avec son virage libéral. On verra bientôt avec quels résultats...
Reste l'espoir soulevé par Arnaud Montebourg, qui a permis d'entendre une vraie voix de gauche au sein même du Parti socialiste. Il a souhaité gauchiser son parti en invitant les candidats à reprendre certaines de ses thèses : la VIe République, l'interdiction du cumul des mandats, la moralisation de la vie politique pouvaient être franchement et clairement repris sans danger par les deux finalistes pour leur ligne libérale. Il n'en fut rien...
Dès lors, responsable mais pas coupable, Arnaud Montebourg a signalé son choix personnel et précisé qu'il n'en faisait pas une invitation à l'imiter. Que fera-t-il ? Il est jeune, il a du talent, il suit une ligne claire depuis son refus de Maastricht. Si tout va bien, il a trois, voire quatre présidentielles devant lui. Que fera-t-il de ce capital ? J'ose espérer qu'on en saura plus dans moins de temps qu'il n'en faut à Nicolas Sarkozy pour faire un enfant...
Reste la constellation de la gauche antilibérale qui a ma faveur - mais qui me désespère par son ardeur à refuser toute union. Olivier Besancenot a jeté l'éponge du NPA finalement trotskiste au profit de Philippe Poutou - si j'étais lacanien, ce qu'à Dieu ne plaise...
Les "arlettistes" continueront d'incarner la pureté dans leur petit coin. Jean-Luc Mélenchon alternera avec talent la défense brillante de justes propositions et l'accumulation de bêtises en soutenant Fidel Castro, la politique chinoise au Tibet ou la vertu guillotineuse de Robespierre.
Le PCF, en Janus menacé de torticolis, une maladie chronique chez lui depuis le pacte germano-soviétique, parlera à gauche contre les socialistes et agira avec eux pour déféndre ses permanents, ses élus, ses cadres. Et la paupérisation continuera de plus belle...
Je n'aime pas François Mitterrand, on le sait. Mais il faut lui reconnaître l'incroyable génie d'avoir uni la gauche, ce qui permit de fédérer autour de sa personne un pharmacien radical-socialiste, un communiste stalinien ancien du STO et, surtout, leurs électeurs. Avec Robert Fabre et Georges Marchais, il partait d'aussi loin, on le voit, qu'un homme politique qui voudrait aujourd'hui renouveler l'exploit de l'union de la gauche. Rien n'est donc perdu...
Dans la mécanique électorale de la Ve République, la gauche antilibérale ne parviendrait au pouvoir que solidement unie. Tant qu'elle ira au combat désunie, elle se fera pulvériser. Il faut un stratège semblable au François Mitterrand des années 1970. Pourquoi ne pas demander à Arnaud Montebourg ce qu'il en pense ?
Michel Onfray
Réactions :
Rebel With A Cow (Libérale), Sébastien Fontenelle, Politis.fr, le 19.10.11
Michel Onfray pourfend le social-libéral Hollande, J-F Launay, Deblog notes, le 19.10.11
Arnaud Montebourg tente de rassurer ceux qu’il a déçus, Raphaëlle Bacqué, Le Monde, le 20.10.11
Michel Onfray en intellectuel de gauche papillonnant, Antoine, bellaciao.org, le 20.10.11
Montebourg crée un mouvement politique pour la Nouvelle France - interview, JSL, le 25.10.11
"Je vais construire un mouvement politique à partir du mouvement "Des idées et des rêves". J'ai décidé de bâtir un think tank [réservoir à idées] qui organisera la discussion avec les intellectuels qui m'ont apporté leur soutien (Emmanuel Todd, Michel Onfray et beaucoup d'autres). Je vais aussi lancer une université populaire itinérante qui animera ces débats et fera vivre des idées qui ont toute leur place, auourd'hui, dans le débat public."
Nos articles sur ce sujet :
Arnaud Montebourg, le seul antilibéral,, Michel Onfray, Le Monde, le 22.10.11
Montebourg est le seul à se soucier du peuple, Michel Onfray, Libération, le 23.08.11
Visite de Montebourg à Argentan, - vidéos, photos, presse, le 23.08.11
Ewa