Du 28 juillet au 29 août 2014 (du lundi au vendredi, de 11h à 12h) France Culture diffuse les conférences de Michel Onfray données en 2013-2014 dans le cadre de l’UP de Caen :
Contre-histoire de la philosophie - 12e année,
« La pensée post-nazie : Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders »
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1/ PHILOSOPHER EN SE MOQUANT DU MONDE - 28.07.2014
- Écoutez les conférences en direct sur le player ci-dessus (11h-12h)
- Les players de la réécoute seront successivement intégrés sur ce blog selon les conditions définies par France Culture qui les met en partage
- Vous pouvez également PODCASTER les conférences sur le site de l’émission, les archiver, prêter à vos amis, emprunter dans les médiathèques...
- Chers internautes, n’oublions pas que les conférences à l’Up de Caen sont constamment présentées comme GRATUITES ! Ne les achetons donc pas ! Ne remplissons pas les poches de Frémeaux & Associés ! Ne soyons pas des CON-SOMMATEURS !
>> UN PREMIER OBSCURCISSEMENT : LE STRUCTURALISME
«Le déjeuner des structuralistes» de Maurice Henry
1./ STRUCTURALISME ET DERAISON PURE :
• La France cartésienne ? Pas au XXe ! - Souscription de philosophes à des idéologies dangereuses -Nourriture du nihilisme du XXème - Psychanalyse, pensée magique et déconsidération de la raison -L’héritage phylogénétique invisible - L’inconscient métapsychologique
• Structuralisme :
a) Alain Rey : Dictionnaire culturel en langue française : • « Plus qu’une mode intellectuelle, manifeste en France entre 1960 et 1980, le structuralisme représente une attitude d’esprit, parfois un ensemble de méthodes qui cherchent, derrière les manifestations observables, des ensembles de relations cachées » Tome IV, page 1029. • Vieille réactivation entre : - « Manifestations observables » – le sensible, l’empirique, le phénoménal - « Relations cachées » - l’intelligible, le nouménal, le transcendantal
b) Issu de la psychanalyse : • Les formes qui échappent à l’histoire
c) Lévi-Strauss, Tristes Tropiques : • « Pour atteindre le réel, il faut d’abord écarter le vécu » (50).
d) Le marxisme a divinisé l’Histoire : l’infrastructure • Le structuralisme la déclare anathème : l’invariant formel
e) Une machine de guerre anti-sartrienne : • Contre la liberté, la conscience, l’histoire, le choix
f) Facéties structuralistes : • Mort de l’homme • Récusation de l’histoire • Usage de la raison pour déconstruire et dénigrer la raison • Pleins pouvoirs à l’affirmation performative • Transformation de la marge en centre : - Le fou, le sauvage, l’homosexuel, le schizophrène, le psychotique, l’hermaphrodite, le suicidé • Disparition du réel au profit des concepts : - Jeux de langage, de mots, logorrhées, performances intellectuelles
2./ GLAS POUR SARTRE
a) 1974, Glas, déconstruction de la métaphysique occidentale par Derrida • Abolition du modèle classique d’exposition philosophique : - Clarté de l’exposé - Construction de l’argumentation -Dialectique de la démonstration • Au profit de propositions textuelles issues de l’avant-garde : -Monologues solipsistes et autistes de Joyce - Collages, lacérations, performances, happenings • Avant-garde poétique : - Mallarmé, usage du blanc, artifices typographiques, jeux de ponctuation
b) Glas commence au milieu d’une phrase • Et se finit avec une phrase tronquée 291 pages plus tard • Pas de majuscules au début, pas de point à la fin • Page divisée en 2 colonnes : - Gauche : commentaire de Hegel - Droite : glose sur Genet - (Cf. Sartre, Saint Genet, comédien et martyr, 1952) - (Cf. Bourdieu, Les règles de l’art, 1998 / Sartre, L’idiot de la famille (1971-1972). • Jeux d’intersection des blocs imprimés • Changements de police de caractère et de ses formats.
c) Variations sur « Gl » : • Abondantes dissertations, digressions • Glaïeul, glaviaux, glaive, glu, verglas, agglutination, glisser, gladiateur, galère, gloire…
d) Citations : • Poèmes en anglais • Texte en écriture gothique • Phrases entre guillemets • Mots entre crochets • Définition de dictionnaire • Graphe d’une signature
e) Mot « couper » coupé en deux : • Couper le mot « couper » : pour quel sens philosophique ? • Entre les syllabes s’intercale un texte dans un autre corps • dans une autre typo • Texte qui commence au milieu d’une phrase et se termine sur une phrase inachevée • Sans majuscules, sans points
f) Glas, livre auto-référent • Ouvert en amont et en aval • mais fermé sur lui-même, clos • Exigeant du lecteur la soumission à l’ordre du discours
g) Le prière d’insérer signale : • Le jeu de mise en page doit produire un effet d’hallucination • Opposition entre une dialectique, côté gauche, et une galactique côté droit • Et « entre les deux, le battant d’un autre texte, on dirait d’une autre « logique » : aux surnoms d’obséquence, de pénêtre, de stricture, de serrure, d’anthéréction, de mors, etc. ».
h) En finir avec Sartre (71 ans) : • Pouvoirs de la raison classique • Cogito cartésien revu et corrigé par la phénoménologie • Postulat néo-kantien de la liberté transcendantale • Fin de l’homme et de l’humanisme occidental.
3./ RELIGION DU TEXTE SANS CONTEXTE
a) Foucault, Les mots et les choses (1966) : • Effacement de l’homme « comme à la limite de la mer un visage de sable »… • L’archéologie du savoir (1969) confirme ces thèses • Puis L’ordre du discours (1971), leçon inaugurale au Collège de France • L’effacement de l’homme s’effectue au profit de l’archive : - La vérité du monde se trouve dans le texte qui dit le monde - Pas dans le monde… • L’homme compte moins que le discours qui le dit.
b) Barthes, La mort de l’auteur, revue Manteia (1969) • Repris dans Le bruissement de la langue : -L’écriture n’est pas le lieu d’apparition d’une voix, - Mais celui de sa disparition • L’auteur est une invention de la sortie du Moyen-Age • Thomas d’Aquin n’est donc pas un auteur • Cet auteur ne précède pas son texte : - Il est construit par lui • Il ne parle pas, - Car c’est le langage qui parle • L’auteur laisse la place au scripteur sans passions, sans humeurs, sans sentiments, sans impression • La vérité d’un texte n’est pas issue de son auteur, • Mais du lecteur, • « La naissance du lecteur doit se payer de la mort de l’auteur » (495).
c) Reprise de ces thèses par Foucault : Qu’est-ce qu’un auteur ? (février 1969) : « L’auteur n’est exactement ni le propriétaire ni le responsable de ses textes ; il n’en est ni le producteur ni l’inventeur » (Dits et écrits, I.789). « L’écriture s’est affranchie du thème de l’expression : elle n’est référée qu’à elle même. (…) Elle est un jeu de signes ordonné moins à son contenu signifié qu’à la nature même du signifiant » (793). • Traductions : - Pas besoin de sens, le son suffit - Pas besoin de signifier quoi que ce soit, le signifiant suffit • Célébration de l’art d’écrire pour ne rien signifier • Invitation à parler pour ne rien dire… • Reste cette invitation terrible : « Analyser l’œuvre dans sa structure, son architecture, dans sa forme intrinsèque et dans le jeu de ses relations internes » • Le texte sans contexte
4./ LA VERITE DU MONDE DANS L’ARCHIVE QUI DIT LE MONDE
a) Cette folie philosophante va faire des ravages – elle en fait encore…
b) La philosophie devient analyse de texte, commentaire de commentaire • Le livre dit plus le monde que le monde ne le dit lui même • Désormais : - La folie se pense avec Hölderlin, Artaud et Nietzsche, - La vérité avec Ricardo, Cuvier et Adam Smith, - La prison avec Tocqueville, Beccaria et Bentham, - L’histoire avec Feuerbach, Hegel, Marx, - La condition ouvrière avec Lénine, Staline et Mao, - La connaissance avec Lewis Carroll, Michel Tournier et Zola, -La psyché avec Breuer, Charcot et Freud…
c) Quand paraît la traduction de L’archipel du goulag (1974) • Althusser se soucie de « jeune Marx », de « manuscrits de 1844 », de « ruptures épistémologiques »
d) Quand on découvre l’usage de la torture psychiatrique en URSS : • Lacan affirme que l’inconscient est structuré comme un langage
e) Quand le capitalisme se réorganise après Mai 68 • Foucault publie L’archéologie du savoir et affirme que la vérité du monde n’est pas dans le monde. • Mais dans l’archive qui dit le monde.
>>UN DEUXIEME OBSCURCISSEMENT : HEIDEGGER
1./ HEIDEGGER, UN PHILOSOPHE INCONTESTABLEMENT NAZI
a) La phénoménologie comme obscurcissement • Avec un certain usage de Heidegger
b) Heidegger fut incontestablement nazi : • Carte (n° 312 589) • Cotise du 1er mai 1933 jusqu’en 1945 • Elu Recteur de l’Université de Fribourg • Choisit ses collaborateurs parmi les nazis • Discours du 27 mai 1933 : - L’auto-affirmation de l’Université Allemande • Envoie quelques jours avant un télégramme à Hitler : - Y parle de « la mise au pas » de l’université dans le sens national-socialiste • De mai 1933 à fin novembre 1934 : - Plus d’une vingtaine de conférences dans différentes villes allemandes : - Eloge de Schlageter, jeune garçon vénéré par les nazis - Invite à voter massivement pour Hitler - Souscrit à la mythologie du sang et de la race • Eloge des camps de travail et d’endoctrinement pour étudiants et professeurs • En dirige certains habillé en uniforme • Carte postale de Heidegger défilant en tête de la SA de Fribourg • Fait ses cours en chemise brune • Salue ses étudiants avec « Heil Hitler ! » • En août 1933, à Heidelberg : - Il faut « mener un combat rude dans l’esprit du national-socialisme, qui ne doit pas être étouffé sous des conceptions humanisantes, chrétiennes, qui en rabaissent le caractère absolu »
c) Août 1933, prononce un discours à l’Institut d’Anatomie Pathologique de Fribourg : • « Adolf Hitler, notre grand Führer et chancelier, a créé à travers la révolution national-socialiste un Etat nouveau par lequel le peuple doit à nouveau s’assurer d’une durée et d’une constante de son histoire » • Crée « une chaire de doctrine raciale et de biologie héréditaire», un poste attribué à l’ancien directeur de l’Office de la Race de la SS. • Discours aux étudiants (3 novembre 1933) : • « Le Führer et lui seul est la réalité allemande présente et future et sa loi » • 30 novembre 1934, il intervient sur « la situation actuelle et la tâche future de la philosophie allemande » : - Pense la relation du Peuple à l’Etat comme celle qui unit l’étant à l’Etre • Démissionne par radicalisme : estime que l’université n’est pas allée assez loin dans le sens nazi… • 1935 : affirme toujours la vérité interne et la grandeur du national-socialisme. • Après guerre, pas un mot de regret • 2 décembre 1949, conférence pour le « Club de Brême ». • Quatre ans après l’ouverture des camps, il dit : « L’agriculture est aujourd’hui une industrie d’alimentation motorisée, dans son essence la même chose (sic) que la fabrication de cadavres dans les chambres à gaz et les camps d’anéantissement, la même chose (sic) que le blocus et la réduction du pays à la famine, la même chose (sic) que la fabrication de bombes à hydrogène »… • Le tracteur agricole, l’industrialisation de la nourriture, la chambre à gaz, le camp d’extermination, le blocus, voilà, dans leur essence, une seule et même chose…
2./ INFLUENCE DE HEIDEGGER EN FRANCE
a) Sartre, Merleau-Ponty, Blanchot, Levinas, Derrida, Ricoeur, Lacan, Foucault, Marion, Henry, Lacoue-Labarthe, Nancy
b) Mars 2013, Jean-Pierre Faye, Lettre sur Derrida. Combats au-dessus du vide. • « Déconstruction » apparait pour la première fois chez Heidegger, Question I • « Logocentrisme » chez Klages, un auteur utilisé par les nazis pour lutter contre la raison des Lumières. • « Comment Derrida, auparavant enfant d’Alger victime des lois de Vichy, en vient-il à placer aux fondations de son discours philosophique une composition de deux termes qui sont empruntés respectivement à Heidegger et Klages, penseurs marqués par la même idéologie cruelle, au coeur de la même nébuleuse historique des pires années du XX° siècle ? ».
c) La pensée de Heidegger ? • L’oubli de l’être en généalogie du nihilisme, • Le seul souci des étants comme signe des temps décadents, • L’ontologie de l’être pour la mort et du souci, • La vérité de la métaphysique chez les présocratiques (réduits la plupart du temps à Héraclite et Parménide…), • La critique de la technique moderne, • L’oeuvre d’art et la poésie comme voies d’accès à l’Etre, • L’infini jeu de lecture des philosophes classiques : Parménide, Héraclite, Platon, Dun Scot, Leibniz, Kant, Hegel, Schelling, Nietzsche… • Rien d’une révolution copernicienne en philosophie.
d) Son succès ? • Dans son jargon… • Une garantie pour la philosophie institutionnelle de rester ce qu’elle est • Forme lyrico-absconse, hermétique, ésotérique, sectaire • Féconde pour créer des disciples en dévotion, des tribus en adoration • Le psittacisme tient lieu de pensée.
e) Caractère agglutinant de la langue allemande. • Création de concepts traduits par des néologismes • Lecture d’une page au hasard de Etre et temps (traduction Vezin) : • « L’analyse du caractère historial d’un util (sic) encore là-devant n’a pas seulement reconduit au Dasein comme à la source de ce qui est historial mais a, du même coup, révoqué en doute que la caractérisation temporelle de l’historial en général puisse s’orienter exclusivement sur l’être-dans-le-temps d’un étant là-devant » (446).
f) Adorno, Jargon de l’authenticité • Dénonce la supercherie • Le jargon subjugue mais ne démontre pas
g) Les heideggériens sont dans une logique hypnotique • Nonobstant l’histoire.
>>UN TROISIEME OBSCURCISSEMENT : LA PHENOMENOLOGIE
1./ UNE PENSEE MAGIQUE, DONC THEOLOGIQUE
a) Dominique Janicaud, Le tournant phénoménologique dans la philosophie française (1990) • Sartre et Merleau-Ponty recourent à la phénoménologie comme méthode • Pour penser le réel concert, immanent
b) Cette ontologie qui se contente de l’être devient métaphysique qui envisage l’au-delà de l’être avec Totalité et infini (1961) de Levinas qui parle du « Très-Haut » (23). • Heidegger avait ouvert la voie à cette métaphysique en parlant de « la phénoménologie de l’inapparent » - séminaire de 1973 – Question IV.
c) La phénoménologie quitte l’objet immanent • Au profit des essences et des objets transcendants, sinon transcendantaux • Le réel se trouve congédié • la philosophie fonctionne alors en circuit fermé.
2./ LES PRODUCTIONS
a) Aucun structuraliste, aucun heideggérien, aucun phénoménologue n’a pensé le réel post-nazi en produisant une oeuvre significative : • Rien sur : - La Shoah, le totalitarisme, la bombe atomique, la menace nucléaire, le saccage de la planète par le capitalisme, l’obsolescence de l’homme
b) En revanche, tout ce monde à produit des concepts en quantité : • Archéologie de discours, • Découpages d’épistémès, • Régimes de discours, • Structures anhistoriques, • Mythème phylogénétique, • Coupures épistémologiques, • Sujet petit a, • Désir de l’invisible, • Science grammatologique, • Déconstruction du logocentrisme, • Pharmakon, • Différance, • Déterritorialisation, • Corps sans organes, • Rhizome connecté, • Des mots ajoutés aux mots pour écarter le réel le plus trivial • Philosophie institutionnelle, philosophie des professeurs, philosophie subventionnée par l’Etat.
c) Or il existe des philosophes qui ont pensé le refoulé ou l’impensé de ces penseurs d’Etat : • Hannah Arendt, Hans Jonas, Günther Anders. • Le programme de cette année.
BIBLIOGRAPHIE :
• François Dosse, Histoire du structuralisme, Livre de poche
• Derrida, Glas, Galilée
• Foucault, Les mots et les choses, Gallimard
• Foucault, L'archéologie du savoir, Gallimard
• Foucault, L'ordre du discours, Gallimard
• Foucault, Dits et écrits, Gallimard
• Jean-Pierre Faye, Lettre sur Derrida. Combats au-dessus du vide, Germina
• Adorno, Jargon de l'authenticité, Payot
• Dominique Janicaud, Le tournant théologique de la phénoménologie française, Editions de l'éclat
• Dominique Janicaud, Heidegger en France, tomes I et II, Albin Michel
• Emmanuel Faye, L'introduction du nazisme dans la philosophie, Albin Michel
Réactions
- « Michel Onfray, le réalisme spéculatif et le blues du concept », Agent Swarm, 23.08.2014
"Michel Onfray élabore sobrement une philosophie réaliste depuis une bonne vingtaine d’années. Sa critique des philosophies pratiquant le culte du concept au détriment de la vie concrète l’amène à diagnostiquer un abandon du réel en faveur de théories qui cherche la vérité du monde plutôt dans les textes et les archives que dans ce qui est empiriquement constatable ou vécu. Il décrit une série de véritables obscurcissements de la philosophie à commencer avec la phénoménologie et le structuralisme.
Onfray réserve une place à part pour Martin Heidegger et les heideggériens français. Les engagements nazis de Heidegger et le décalage entre le comportement réel du philosophe et le portrait conceptuel hagiographique proposé par certains de ses disciples amènent Onfray à interroger l’image de la pensée présente dans les textes de Heidegger. Il trouve une faute irréparable dans la façon heideggérienne de poser la différence ontologique et de se soucier plus de l’Être (aux yeux de Michel Onfray une construction conceptuelle à manier avec extrême prudence) que des êtres. C’est cette obsession de l’Être, la préférence pour le monde intelligible au-dessus du monde intelligible, et la survalorisation du concept qui ont abouti à une vacance éthique, qui pouvait être remplie des projections bienveillantes des “belles âmes” acolytes, mais aussi des pires partis pris et des instincts les plus bas."