Un conseil de lecture légère, facile et agréable - le dernier livre de Guy Bedos Plans rapprochés (Stock, 2011), où il trace vingt-cinq croustillants portraits des gens connus qui ont influencé sa vie : des amis comme Michel Onfray, Pierre Desproges, Simone Signoret, Jane Birkin et des ennemis ou des amis déchus comme Bernard Kouchner, Philippe Val, Éric Zemmour. Les portraits dessinés avec humour et ironie, tendresse, mordant, amour, acidité, nostalgie - qui créent ensemble un portrait riche et complexe de … Guy Bedos.
Cliquez sur l’image pour écouter l’entretien de Tewfik Hakem avec Guy Bedos dans l’émission A plus d’un titre sur France Culture, (14.03.2011).
[Parmi les nombreuses interviews promotionnelles de Guy Bedos, j’ai choisi celle dans l’émission de Frédéric Taddéï Ce soir ou jamais du 7 avril 2011, qui est, selon moi, la plus polémique et pertinente. Si vous avez envie de savoir un peu plus sur ce sujet, je vous invite à poursuivre cette "aventure" en visionnant deux vidéos suivantes : "Guy Bedos chez G.Durand".]
Malheureusement, ces interviews ne sont plus disponibles car le compte You Tube concernant ces vidéos a été clôturé. Je vous propose donc le passage de Guy Bedos dans l’émission de Franz-Olivier Giesbert, Semaine critique.
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Voilà le dix-septième portrait, tendre et plein d’humour, de Michel Onfray. Le même se trouve dans le dernier chapitre Les invités de Manifeste hédoniste, précédé d’une note d’Onfray :
« Guy Bedos fait partie du patrimoine culturel français, je l’ai donc connu, comme tout le monde, en le voyant à la télévision. Il a une supériorité sur tous les autres comiques : il aborde tous les thèmes sans jamais une once de vulgarité, en évitant toute grossièreté, sans recourir une seule fois à la scatologie avec laquelle on est certain de remplir le stade de France. Subtil, malin, intelligent, vif, capable d’improviser (ils sont rarissimes…), mais aussi profond. Critique libertaire sur le terrain politique, il m’a fait penser à Diogène qui fait du rire non pas une fin mais un moyen philosophique pour déconstruire le monde - "Il dénuda nos chimères", disait-on du philosophe de Sinope. J’ai rencontré Guy Bedos pour permettre à Siné de lancer son hebdo ; nous nous étions beaucoup parler par téléphone ; nous nous sommes un jour rencontrés ; nous ne nous sommes plus quittés : c’est un homme libre, donc rare. Sa mélancolie me touche, sa colère me ravit, sa fidélité me comble. »
Guy Bedos
« Histoire d’une amitié qui, de mois en mois, d’année en année, se fortifie. Le philosophe et le saltimbanque. J’avais eu vent de son existence mais c’est à la télévision que je l’ai vraiment identifié, un soir où "L’Île de la tentation" n’était pas programmée.
Pour avoir, lorsque j’étais enfant, servi la messe et accompagné des enterrements religieux - mes premiers pas au théâtre -, je me suis longtemps vécu comme agnostique (la virginité de Marie, un vaudeville dont ce malheureux Joseph serait le premier cocu de l’histoire du monde!), mais c’est à Onfray et à son Traité d’athéologie que je dois de m’être, sur le tard, réellement converti à l’athéisme. Athée convaincu donc, grâce à lui. Libertaire, hédoniste, épicurien, aussi, bien avant de le connaître, mais c’est sous son influence que j’ai mis des mots sur ce dont j’étais porteur depuis toujours.
Ce soir-là, à la télévision, il m’avait enthousiasmé en professeur de philosophie, dans ce style qui lui est propre, où le savoir et la vie se confondent. Parmi ses élèves, il ne m’avait pas échappé que certains, à l’écran, apparaissaient de toute évidence comme « issus de l’immigration ». (Tragiquement identiques à ceux que Sarkozy, Hortefeux, Besson, Estrosi et consorts, depuis qu’ils sont aux manettes, ont pris, si l’on peut dire, comme têtes de Turcs!).
Onfray, avec son Université populaire de Caen, puis de Paris, a, de fait, bâti à sa manière des lieux de résistance contre cette ignominie politicarde. Sans le secours de la moindre subvention d’État. A ses frais. Sur ses droits d’auteur. Magistrale illustration de la superbe phrase de Victor Hugo : "Construisez des écoles, cela vous évitera de construire des prisons." C’est ce que fait Onfray. Il construit. Dans l'ambiance du moment, respect. Et reconnaissance.
Autre sujet de gratitude, plus égoïste : à mon grand étonnement, Onfray voit en moi un improbable successeur de Diogène, le fameux philosophe de l’Antiquité grecque, qui, depuis son tonneau, déambulant de ville en ville, d’agora en agora, cherchait l’Homme, sa lanterne à la main. (A cette différence près que, depuis un demi-siècle, pour aller porter la bonne parole aux quatre coins de la francophonie, j’ai accès à des automobiles et à des hôtels assez confortables!) N’empêche, cette filiation, avouons-le, ne me déplaît pas. Je serais donc à la philosophie, à quelques détails près, ce que le Douanier Rousseau était à la peinture : un naïf. Pourquoi pas?
Au moment où j’écris sur Onfray, je le lis. Depuis le début de notre relation, il m’expédie une kyrielle d’ouvrages de son cru que je m’efforce de décrypter à mon rythme. Il écrit plus vite que je ne lis.
Ces jours-ci, je me vautre dans Cynismes, portrait du philosophe en chien, consacré à Diogène, qu’il m’a plaisamment dédicacé : "A Guy, cet éloge de son arrière-grand-père! Son ami : Michel." Où je mesure le chemin qu’il me reste à parcourir pour rejoindre mon aïeul.
A en croire Onfray - je le crois -, notre philosophe itinérant prenait ses repas en public et, lorsqu’il n’était pas en compagnie féminine, se masturbait sur place. Pudique comme je suis, il va falloir que je m’applique. En fusion avec la nature, animaux toujours proches, qui s’offrent en modèles, je m’y reconnais, sauf peut-être pour le poisson masturbateur - décidément! - que je n’ai jamais eu la chance de rencontrer, mais, au bord de la Méditerranée corse où je me trouve, j’ai bon espoir.
Au-delà de ces diverses approches de l’onanisme, incontournables dans l’ouvrage, Onfray dialogue avec Diogène, mais aussi avec Nietzsche, son vieux complice, pour le saluer, Platon, punching-ball préféré, pour le fustiger, et même Sade, le divin marquis qui, tel qu’on l’apprécie, ne se fait pas prier pour célébrer la sodomie comme suprême expression de la liberté. (Si l’on veut privilégier le plaisir plutôt que la reproduction, imparable en effet.) Assez perturbant, tout cela. Au point où j’en suis de ma lecture, je ne sais plus où j’en suis. Ni qui je suis. Pause repas. J’ai aperçu dans le réfrigérateur un poisson d’origine inconnue que je vais interroger pour savoir ce qu’il pense des Grecs…
Retour à l’établi. Rien obtenu du poisson potentiellement masturbateur, il était corse et pratiquait l’omerta. Je me suis consolé avec une tranche de jambon de pays.
Ces considérations alimentaires me ramènent à un dîner que Joë et moi avons eu le bonheur d’organiser à la maison - nous sommes plus curieux que mondains - à seule fin que Michel Onfray et Boris Cyulnik se rencontrent pour la première fois. Soirée d’une grande intensité. L’échange était à la fois chaleureux et passionnant. (Penser à interroger Cyrulnik à propos de la tempête provoquée par le pamphlet sur Freud publié depuis par Onfray. Inversement à d’autres pointures de sa corporation, il ne s’est pas manifesté en procureur. Tant mieux. Ça ne méritait pas tout ce foin.)
Revenons à Diogène : narcissique comme je suis, je m’obstine à chercher la filiation annoncée par Onfray. Humour, ironie, dérision, provocation, subversion, autant de mots pour habiller le philosophe au chien qui me vont bien, en effet. Ma parenté avec le vieux Grec ne relèverait donc pas seulement de l’affection exacerbée que semble me vouer mon jeune maître de philosophie? Me voilà rassuré.
Passé ce court moment d’autosatisfaction, je suis vite ramené à la modestie. Au pied de la statue de Diogène érigée par Onfray m’apparaissent toutes les désolantes trahisons que j ‘aurai, au cours de mon existence, commises vis-à-vis de ma "philosophie" originelle. Contre le mariage, je me suis marié trois fois. Contre l’argent-roi, certes, mais, chargé de famille, soumis, pour le confort de mes êtres chers - très chers - à l’exigence de gagner ma vie afin de ne pas trop les décevoir. Il n’y a que cet indispensable "Ni Dieu ni maître", ce rejet de toute autorité religieuse, intellectuelle, politique, militaire auquel je me serai agrippé tout au long de ma route, qui me rendrait plausible en héritier diogénique.
Pour cet examen de philosophie successorale, je m’accorde donc la moyenne. Merci, Michel. Si imprévisible qu’il soit, le couple formé par le philosophe et le saltimbanque est au bout du compte assez légitime.
Cet Onfray que certains perçoivent comme un homme austère et sentencieux porte en lui le rire, l’espièglerie et la fraîcheur d’un gamin. Encore un qui n’a pas tué l’enfant qu’il a été.
Reçu récemment au théâtre du Rond-Point - mon théâtre de ces années-ci - pour participer, en invité principal, à la dernière rencontre de son Université populaire parisienne, au cœur de la polémique autour de son livre sur Freud, j’avais souhaité que l’on passe, en bande-annonce de ma prestation scénique, l’enregistrement télévisé de mon sketch "Psycomédie" qui avait fait beaucoup rire en 2002 à l’Olympia… En quelques minutes et alors qu’Onfray et moi ne nous connaissions pas encore, j’y exprime, dans ma musique personnelle, à peu près la même distance que la sienne pour ce qui est du freudisme et la psychanalyse.
Moment fort de la soirée : assis à trois sur scène avec notre hôte Jean-Michel Ribes, nous avons très agréablement improvisé. En bouquet final, Macha Méril, ma tendre partenaire dans "Le voyage de Victor", la pièce de mon fis Nicolas, apparaît sur scène, précédée d’un gigantesque gâteau à roulettes, pour célébrer mon anniversaire. Le public, debout, entonne "Happy Birthday". Une idée de Michel. Joli souvenir, à envoyer en DVD à Mme Roudinesco pour la détendre.
Un autre Onfray. Nous nous retrouverons à l’automne. »
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"Guy Bedos aperçoit le gâteau d'anniversaire. Il m'aperçoit pointant mon objectif vers lui, émets un léger sourire en coin.
L'homme a une mine qui me semble profondément émue. Je me trouve à un mètre de lui, au moment où je le regarde, je ne peux m'empêcher d'avoir la larme à l'œil, je ne sais pour quelle raison. Certainement, parce que je me rends compte que je viens de photographier un monument de l'humour, un amoureux de la vie, un philanthrope, un gueulard à la ténacité rageuse, un homme libre, un blagueur humaniste... A un mètre de lui, vous pénétrez dans une zone sensible, un abîme de tendresse.
Si près, on n'ose photographier un tel personnage, c'est comme si vous vouliez photographier le Mont Blanc depuis sa base avec un petit appareil photo.Alors forcément.. Oui... L'intimidation, le respect et tous les souvenirs de cette artiste ont quelques choses de vertigineux." 15 juin 2010.
Photo : Serge-Henri Bouvet
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L’excellent sketch de Guy Bedos « Psycomédie » joué à l’Olympia en 2002 reste malheureusement introuvable. A la place, je vous propose Psy de Pierre Desproges. Et si vous regardiez pour la énième fois La drague - un classique de Guy Bedos et Sophie Daumier des années 70? Il est toujours aussi drôle et pertinent. Chaque femme, au moins une fois dans sa vie, a déjà eu à faire à un type pareil et s’y reconnaîtra parfaitement. Le dragueur raté, lui - jamais, bien sûr…