Une nouvelle tribune de Michel Onfray sur deux visages de Front National publiée par Le Monde le 10 décembre 2013
Le Pen, la fausse mue du vrai serpent
La mort de Nelson Mandela met au jour une singulière fracture entre Marine Le Pen et son père, entre le Front national et le Rassemblement Bleu Marine. Elle témoigne qu’il existe de facto une coupure entre le vieux père nostalgique de l’Algérie française et la jeune fille déguisée en général de Gaulle. Ce hiatus factuel nous invite à réfléchir sur ce qu’il faut penser vraiment de Marine Le Pen. Précisons.
Marine Le Pen a en effet salué la mémoire du Prix Nobel de la paix « qui, par patriotisme et par amour de son peuple, avait réussi à sortir son pays de la guerre civile en le préservant des déchirures ». Exercice habituel en pareil cas : on prétend aimer en l’autre ce qu’on imagine être chez soi – ici, une figure de réconciliation nationale qui permet de rassembler le peuple d’une nation éprouvée et déchirée.
En Afrique du Sud, par le régime d’apartheid, en France, par le règne sans partage depuis un demi-siècle de « l’UMPS » – pour utiliser le langage de qui nous savons. Convenons que, même en n’aimant pas le libéralisme de droite et le libéralisme de gauche, ce qui est mon cas, il n’inflige pas autant de dégâts aux peuples qu’un régime d’apartheid !
DISCOURS RACISTE ET RACIAL
De son côté, Bruno Gollnisch se félicite dans son blog que Jean-Marie Le Pen et le FN aient estimé « que le régime afrikaner était de loin un moindre mal, un facteur de stabilité et de richesses, entouré par un océan de misère ». L’Afrique du Sud en régime d’apartheid incarnait selon lui « une nation où les ethnies noires jouissaient alors d’un niveau de développement et de prospérité inégalé en Afrique noire ».
On aura donc compris que la fille et le père ne tiennent pas le même discours ! Mieux : qu’ils tiennent un discours contradictoire. Un électeur du FN historique trouve son compte au discours raciste et racial des tenants de l’apartheid ; un électeur du Rassemblement Bleu Marine se réjouira d’imaginer le retour du général de Gaulle, fût-ce en jupe et talons aiguilles.
Le premier se retrouve ainsi à l’aise dans le camp des petits-fils de Drumont, des amis du Maréchal, des défenseurs du régime de Vichy, des nostalgiques des fascismes européens, des poseurs de bombes de l’OAS ; le second s’imagine que la France gaulliste est de retour avec la réconciliation nationale d’un après-guerre où vichystes, résistants et communistes (parfois, ce furent les mêmes…) faisaient la bamboula gouvernementale dans le bateau du Général.
Que pense vraiment Marine Le Pen ? Attend-elle que le temps fasse sa besogne et la prive d’un père impérieux qui l’empêche d’exister sans lui ? Ou tient-elle le discours rusé et séducteur du serpent qui joue la carte gaulliste pour arriver au pouvoir, avant de tomber le masque une fois parvenue au sommet de l’Etat pour nommer Gollnisch premier ministre et confier les ministères aux amoureux transis des dictateurs ?
INSTALLER LA VERMINE AU POUVOIR
Le ministère de l’intérieur à un nostalgique de Mussolini ? Le ministère de l’immigration à un partisan de Pétain ? Le ministère de la défense à un sympathisant de Franco ? Le ministère de l’éducation nationale à un affidé de Salazar ? Où est Marine Le Pen ? A Colombey-les-Deux-Eglises, comme elle ne cesse de le dire à longueur de médias, ou à Montoire, comme on pourrait le croire si elle ne disait explicitement, et assez rapidement, qu’elle n’y est pas ?
Si Marine Le Pen ne se désolidarise pas clairement des propos de son père et de Bruno Gollnisch, on pourra croire légitimement qu’elle taille la route pour eux et qu’elle avance masquée pour installer la vermine au pouvoir.
Si elle est ce qu’elle prétend être en permanence, à savoir un retour du gaullisme sous sa forme souverainiste et populaire, alors qu’elle dise sans fioritures qu’elle ne soutient pas ceux qui sont les ennemis du général de Gaulle depuis toujours.
Son silence joue contre elle : tant qu’elle ne dit pas non à ceux-là, elle leur dit oui. Dès lors, la mue de Marine Le Pen est poudre aux yeux. Pendant que le sage montre le serpent, l’imbécile regarde la mue.
Michel Onfray
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